VG2020 : à quatre jours du reste de leur vie
« Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Citer Socrate est une habitude sur la route du Vendée Globe ces derniers jours. La course à la victoire est plus ouverte que jamais : ils sont au moins sept à pouvoir encore y prétendre alors qu’ils devraient atteindre les Açores dans la nuit. Derrière, Armel Tripon confie ses états d’âme, Maxime Sorel a enfilé son costume de pêcheur et Alexia Barrier continue de faire preuve d’une sacrée combativité.
Suspense total, nouvel épisode
Il y a d’abord un constat qui ne change pas depuis le début de la semaine. Ce matin, c’était Louis Burton qui s’y collait pour l’expliquer : « C’est rare d’avoir autant de bateaux aussi serrés à quatre jours de l’arrivée. C’est assez dingue et c’est très difficile de faire des pronostics ». Le skipper de Bureau Vallée 2 annonce la suite : « Dans 24 heures, on passe un front et 20 heures plus tard, on empanne vers les Sables d’Olonne ». « Une dépression secondaire les attend vers l’ouest et devrait les emmener jusqu’à l’arrivée », décrypte Sébastien Josse, consultant météo du Vendée Globe.
Dans ce rush final, Louis Burton, Charlie Dalin et Boris Hermann avaient pris un « léger avantage » hier. Aujourd’hui, ils sont sept – avec Thomas Ruyant, Yannick Bestaven, Damien Seguin et Giancarlo Pedote – à pouvoir encore viser le podium… À ne plus rien n’y comprendre ! La certitude, c’est qu’ils contournent l’anticyclone des Açores et qu’ils devraient atteindre l’archipel portugais dans la nuit. Ensuite, rien ne sera facile : il faudra probablement zigzaguer jusqu’aux Sables d’Olonne. « C’est clair qu’on va tournicoter », confirme Thomas Ruyant (LinkedOut). Yannick Bestaven, qui estime « être encore en lice pour le podium », confiait ce matin : « Il y aura pas mal de variations de vent, pas mal d’empannages… Il va y avoir du sport ! » Le skipper de Maître Coq IV, qui a des difficultés à manœuvrer sans balcon, assure qu’il a retrouvé un moral d’acier, comme ses rivaux du moment.
Louis Burton, début de matinée compliquée
Dans le ‘match dans le match’ entre APIVIA et Bureau Vallée 2, l’ascendant a peut-être changé de camp. « Ce samedi matin, entre 5h30 et 8h30, on a constaté que la route de Louis Burton n’était pas aussi rectiligne que celle de Charlie Dalin, explique Jacques Caraës, le directeur de course. Est-ce qu’il s’agit d’un changement de voile, est-ce qu’il évolue sous spi, est-ce que son aérien (qui agit sur la performance du pilote automatique) est toujours aussi efficient ? ». Depuis, Louis Burton a repris de la vitesse (plus de 15 nœuds) et il reste au coude-à-coude avec Apivia. Mais dans ces instants où chaque détail compte, ce fait de course n’a échappé à personne… Et encore moins aux rivaux du Malouin.
Maxime Sorel, le roi de la pêche
« J’ai remonté les filets et je ne savais pas mais la pêche a été plutôt bonne » Petite surprise à bord de V and B – Mayenne, 10e de la flotte : des sargasses se sont accrochés et des poissons-volants se sont invités sur le pont. « Je ne comprends pas pourquoi ils sont tous attirés par mon bateau ! » Et Maxime Sorel, après avoir dénombré chaque poisson présent sur le bateau, d’annoncer « avoir besoin de faire le ménage ». « Ça sent le bateau de pêche » s’amuse-t-il.
Armel Tripon : « Je ne prends aucun plaisir »
Les conditions ont un impact impressionnant sur le moral. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Armel Tripon. Depuis plusieurs jours, L’Occitane en Provence poursuit sa progression au large de la Mauritanie. Mais au près, rien n’est facile, son foiler se fracasse contre les vagues et le garder en bon état est un combat permanent. « Ces conditions, c’est tout ce que je déteste. Je ne prends aucun plaisir ». Cette phase désagréable devrait s’achever en fin de journée. Pour passer le temps, l’évasion passe par l’écoute et le spectre est large : « du classique, du reggae, du rock et je viens de finir le livre audio des Misérables de Victor Hugo ». Difficile de dresser un parallèle avec sa situation actuelle, « le Paris du XIXe siècle n’a pas grand-chose à voir avec les conditions du moment », s’amuse-t-il. De quoi conserver au moins le sourire et continuer d’avancer, malgré tout.
Dans l’Atlantique Sud, tous dans les alizés
Le contingent de skippers qui progresse dans l’Atlantique sud peut aussi avoir le sourire.
De Jérémie Beyou (Charal, 14e) à Didac Costa (One Planet One Ocean, 20e), tous bénéficient de l’alizé et des conditions à plus de 10 nœuds. Arnaud Boissières (La Mie Câline – Artisans Artipôle) et Alain Roura (La Fabrique), un temps englués dans des zones sans vent cette semaine, ont donc eux aussi repris de la vitesse. Dans ce groupe étalé sur près de 900 milles au large du Brésil, Jérémie Beyou détenait la palme de la plus longue distance parcourue (403 milles, 648 km) dans les dernières 24 heures. « Il a bien négocié la dorsale de l’anticyclone de Sainte-Hélène », analyse Christian Dumard, le météorologue du Vendée Globe.
Alexia Barrier, une leçon de courage
Les conditions ne sont pas aisées pour les trois skippers qui s’approchent du Cap Horn. Hors course, Sam Davies devrait le passer en fin de journée. Initiatives-Cœur a dû affronter des conditions particulièrement musclées dans la nuit de vendredi à samedi avec des rafales à 50 nœuds. En revanche, pour Alexia Barrier (TSE – 4myplanet), qui devrait franchir le cap mythique demain soir, les conditions sont légèrement plus clémentes.
Mais elle n’a pas été épargnée non plus : « J’ai eu ma dose ses deux dernières semaines avec des fronts jusqu’à 50 nœuds, de la houle… Pendant des heures, on garde la boule au ventre. Je sais que le meilleur moyen de s’en sortir au plus vite, c’est d’avancer. J’ai hâte d’en sortir ! » D’autant qu’à bord, les petits pépins s’accumulent : hydrogénérateur bâbord arraché, problème d’antenne satellite, fuite du dessalinisateur… « Je ne serais pas contre m’arrêter une semaine en Patagonie pour tout réparer ! » Alexia dit tout ça avec le sourire, parce qu’elle est préparée, parce qu’elle sait « faire partie d’une course extrême » et qu’elle donne le meilleur. Une belle leçon de résistance.
Ils ont dit
Louis Burton, Bureau Vallée 2
Comme je suis le plus au Nord, je perçois les effets du front en premier. Normalement, ça va être de plus en plus instable en forcissant jusqu’à dimanche matin ! Les Açores, ça va dépendre de la rapidité avec laquelle le front va se déplacer, de notre vitesse et de notre capacité à rester devant. C’est rare d’avoir autant de bateaux aussi serrés à quatre jours de l’arrivée. C’est assez dingue parce qu’il peut encore se passer plein de choses ! Tout le monde a la pression de l’arrivée… Mais j’essaie de rester à l’écart de tout ça et de me concentrer sur la fin de course. Ça va aller très vite : dans 24 heures, on passe un front. 20 heures plus tard, on est en panne direction les Sables d’Olonne… Et puis on va tricoter en approche du cap Finisterre jusqu’au fond du golfe de Gascogne !
Thomas Ruyant, LinkedOut
Les surprises, c’est non-stop ! Il y a du regroupement à tous les étages depuis le départ. C’est bien, cela fait des régates serrées, même si on espérait avoir une fin de tour du monde un peu plus tranquille. Là, on va la faire en mode « étape du Figaro » ! Je suis plein de sentiments partagés parce que j’ai bien envie d’arriver mais en parallèle, il me faut un peu de temps pour revenir sur ceux de devant… Et j’ai l’envie de profiter à fond de mes derniers jours en mer. Ce tribord était dur pour le mental, alors j’ai besoin de naviguer sur l’autre bord ! J’ai encore la tête bien en place sur ce qu’il se passe et s’il y a de la fatigue physique certaine, je me suis bien reposé ces derniers jours.
Boris Herrmann, SeaExplorer – Yacht Club de Monaco
Il y a de grandes accalmies, c’est assez stressant, de 14 à 28 nœuds, je viens de croiser le navire CMA CGM Fort Fleur Depee (porte-conteneurs qui se dirige vers Pointe-à-Pitre, Guadeloupe), qui se dirige vers le Sud-Ouest à 20 nœuds. CMA CGM est un de mes partenaires. Ils se sont approchés pour me dire bonjour, donc c’était cool. Ils étaient à un mille, ils ont allumé leurs projecteurs et m’ont salué depuis le pont ! Il faisait nuit noire, la lune n’est présente que dans la première partie de la nuit, actuellement nous avons 12 heures ou plus d’obscurité, contrairement au sud où l’on navigue tout le temps dans la lumière sauf pendant quelques heures.
Yannick Bestaven, Maître CoQ IV
Il va y avoir des variations de vent, un passage de front et des empannages où il faudra bien se placer. Il va y avoir de l’activités jusqu’aux Sables d’Olonne ! Je suis encore dans le match pour un podium. J’ai eu pas mal de dégâts sur le bateau que j’ai plus ou moins réparé. Dans les conditions musclées à venir, c’est rock à fond : je monte le son le plus fort possible pour me motiver ! C’est rock’n’roll à bord de Maître CoQ !
Armel Tripon, L’Occitane en Provence
Je suis au près, ce n’est vraiment pas une situation très agréable. Le bateau tape en permanence, tout tremble, c’est un peu violent. C’est tout ce que je déteste, il y a des risques de casse. C’est usant pour les nerfs, pour le bateau. Normalement j’en sors dans la journée ! Chaque minute est douloureuse. J’ai un casque audio, je mets de la musique, j’écoute des podcasts, ça atténue un peu le bruit. J’écoute un peu de tout, du classique, du rock, du reggae, du jazz. Je viens de finir « Les Misérables » en livre audio, c’était sympa.
Alexia Barrier, TSE – 4myplanet
J’ai eu encore du vent fort cette semaine à l’approche du Cap Horn. Il y a deux nuits de ça, j’étais encore dans un front costaud avec 35 à 50 nœuds de vent. La mer n’était pas trop déchainée, j’avais 3 à 4 mètres de houle. Ça se mérite le Cap Horn, non ? Les conditions ne pas très plaisantes, quand tu gardes la boule au ventre pendant des heures… Mais bon, je sais que c’est bientôt terminé. Je me suis lancée dans la course la plus extrême qui puisse exister. J’essaye de me faire une raison en essayant de garder le sourire !
CLASSEMENT à 15h00 Heure Française
- Charlie Dalin, Apivia, à 1 403, 6 milles de l’arrivée
- Louis Burton, Bureau Vallée 2, à 34, 5 milles du leader
- Boris Herrmann, SeaExplorer – Yacht Club de Monaco, à 62, 3 milles du leader
- Thomas Ruyant, LinkedOut, à 95, 3 milles du leader
- Yannick Bestaven, Maître CoQ IV, à 158, 3 milles du leader
Crédit Photo : V.Curutchet
Tags sur NauticNews : Vendée Globe, VG2020
– CP –
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