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VG2020 : deux mois…

Il reste moins de 5 400 milles devant les étraves de Maître Coq IV, soit 22% du parcours. Pour autant, les deux premiers mois de course de ce 9e Vendée Globe, n’ont pas été rapides si l’on songe qu’à ce stade, il y a quatre ans, Armel Le Cléac’h était sur le point de franchir l’Équateur. La comparaison ne vaut que pour l’anecdote, tant il est vain de comparer des éditions très différentes en termes de météo. À trois semaines du finish aux Sables d’Olonne, quels sont les faits remarquables ? Tout d’abord, 80 % de la flotte est encore en course. Ensuite, cette dernière n’a jamais été aussi compacte, augurant des arrivées en rafales fin janvier ou début février dans le port vendéen.

61 jours, c’est une énorme tranche de vie sur la planète mer. Depuis le coup d’envoi des Sables d’Olonne il y a deux mois exactement, les solitaires évoluent en liberté sur l’immensité liquide. Libres, oui, mais soumis à la tyrannie de leur meilleur compagnon de route – leur monocoque – qui demande une attention et des soins de tous les instants. Il en va de la performance, mais aussi et surtout de la sécurité.

Comme la plupart de ses concurrents à un moment de la course, Pip Hare a été contrainte de se lancer dans une opération difficile. La nuit dernière, dans une mer encore très cabossée, elle a réussi à remplacer son safran bâbord dont la tête de mèche avait cassé. Dans cette manipulation harassante – elle en ressort pleine de courbatures et couverte de bleus -, elle a certes perdu deux places, mais elle est à nouveau en route et c’est le principal. « Je suis fière de moi, pourtant, je ne dis pas ça si souvent » confie Pip Hare qui a hâte de pouvoir se reposer. « Tu es mon héroïne » lui lance Bernard Stamm, celui qui a construit de ses mains (il y a 20 ans) le bateau avec lequel la Britannique impressionne son monde.

Bateaux et marin usés

Au fil de ces journées interminables passées sous-toilé à freiner l’allure et serrer les dents dans le train des dépressions, l’impatience de passer le Cap Horn se fait plus pressante pour le peloton qui s’étend d’Alan Roura (désormais 15e), à Kojiro Shiraïshi (21e). Ce matin, après avoir constaté une déchirure sur son J2, Jérémie Beyou (18e) ne cachait pas sa lassitude, pour ne pas dire son ras-le bol : « Depuis la mer de Tasmanie, le vent n’est pas descendu en-dessous de 35 nœuds, c’est assez usant. Il y a trois jours, c’était n’importe quoi, c’était super violent. Il y avait entre 6 et 7 mètres de creux et ça venait de côté en déferlant. Le bateau partait dans une vague et d’un coup une déferlante venait par le côté. Je me suis fait projeter à l’arrière du bateau à plusieurs reprises. Tu as vraiment l’impression de ne pas être grand-chose, c’est impressionnant ».

À l’arrière de ce groupe, Manu Cousin a eu aujourd’hui son lot d’embêtements : lors d’un empannage involontaire dû à une panne de pilote automatique, un chariot de latte de grand-voile s’est cassé, la grand-voile elle-même est déchirée partiellement au dessus du 3e ris, obligeant le Sablais d’adoption à tout affaler. Il fait actuellement route à petite vitesse sous J3 seul, sachant que cette petite voile d’avant montre aussi quelques signes de faiblesse.

Encore 850 milles, soit un peu moins de 3 jours d’abnégation pour cette bande du Pacifique.

Après deux mois de mer, le matériel s’use et les réserves de nourriture aussi. Ceux qui n’avaient pas pris de marge risquent bien de devoir se priver un peu d’ici l’arrivée. Heureusement, la plupart n’ont pas mangé toutes leurs rations du Grand Sud (7000 calories journalières) et n’ont pas de quoi s’inquiéter. « J’ai de quoi faire une deuxième tour du monde » plaisante Alexia Barrier. Ce qui n’est pas le cas de Thomas Ruyant qui n’avait embarqué que 80 jours de nourriture et à qui il va manquer des petits déjeuners et quelques encas sucrés d’ici le passage de la ligne.

La confiance de Bestaven

Le skipper de LinkedOut n’a pas l’air miné par cette perspective. Revenu à la hauteur de Charlie Dalin après une belle traversée de l’anticyclone par l’Ouest, Thomas est remonté comme une pendule. Certes, il va devoir s’astreindre à une nouvelle ascension dans son mât pour réparer un aérien qui le prive de mode vent (sa 5e ascension !). Mais le corps à corps avec Apivia le galvanise pour revenir dans le tableau arrière de celui à qui il rendait hommage ce matin : « S’il y a une opportunité de faire quelque chose, vous pouvez compter sur moi ! Mais Yannick est en grande forme, tout lui réussit ! Il va vite, il fait un Vendée Globe incroyable. Il doit avoir une confiance en lui et en son bateau importante en ce moment ».

Ralenti en fin de matinée, le skipper de Maître Coq a retrouvé de la vitesse au large de Buenos Aires, si bien que pour l’instant, il maintient quelques 400 milles d’avance sur Charlie et Thomas. Mais la météo est toujours incertaine devant son étrave. Yannick va subir divers ralentissements dans sa progression vers le Nord (il passera peut-être tout près des côtes brésiliennes !) avant de pouvoir s’échapper avec les alizés de Sud-Est. Il y aura de nombreux « coups d’accordéon » dans les prochaines 48 heures. Pour notre plus grand plaisir…

Quelques statistiques après 2 mois de course :

  • Le leader Yannick Bestaven a effectué 78 % du parcours
  • Contre 48% pour le dernier Sébastien Destremau
  • Skipper le plus grand nombre de fois en tête aux pointages officiels : Charlie Dalin (137 fois) qui sera rejoint au classement de 18 heures par Yannick Bestaven
  • 10 leaders se sont partagé la tête de course depuis le départ (dans l’ordre en fonction du temps passé en tête) : Charlie Dalin, Yannick Bestaven, Alex Thomson, Thomas Ruyant, Jean Le Cam, Maxime Sorel, Jérémie Beyou, Damien Seguin, Louis Burton, Benjamin Dutreux
  • Plus grande distance parcourue en 24 heures depuis le départ : Thomas Ruyant, le 21 novembre 2020 avec 513,3 milles (954,3 km), à la vitesse moyenne de 21,6 nœuds
  • Plus de 30 ascensions dans le mât pour effectuer des réparations

Ils ont dit

Jérémie Beyou, Charal

J’ai entre 18 et 38 nœuds, avec un vent qui bascule de 30 degrés à chaque passage de grains. Il n’y a rien qui est très stable.

Comment se toiler alors ? C’est la question. Alors tu te toiles pour 25 nœuds de vent et quand il y a 38 nœuds tu es surtoilé, quand il y a 18 nœuds, t’es collé à l’eau. Ce n’est pas un sentiment très agréable. Et puis avec ces bascules, tu écris ton nom sur le plan d’eau, tu fais des S. En termes de vitesse moyenne vers le but, c’est famélique. On a du vent, mais qui ne permet pas d’avancer.

Je suis un peu agacé, parce que je ne suis pas en mode maxi attaque, je prends soin de mes voiles depuis le début et hier j’ai déroulé le J2 alors que ça faisait une semaine que j’étais sous J3 ou sous grand-voile seule. À maintes reprises, j’ai navigué sous grand-voile seule à trois ris. Hier, je constate que le J2 est déchiré sur la chute, et je m’y suis repris à plusieurs fois pour le rouler correctement. J’espère qu’il ne va pas partir en morceaux car il y a encore du vent fort qui nous attend notamment au Cap Horn. Selon les modèles même après le Cap Horn, il y a 30 nœuds. Normalement dans le Pacifique ou dans l’Indien, tu as toujours une dorsale entre deux dépressions et là, on n’a pas de quoi souffler, même de quoi inspecter le bateau, le moindre petit pépin peut vite tourner à la catastrophe.

Thomas Ruyant, LinkedOut

Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit. Il fallait être sur les réglages car j’ai assez peu d’infos de vent sur le bateau en ce moment… Il me manque deux, trois trucs. Ça me demande beaucoup de veille et d’attention. Ça fait naviguer un peu plus au feeling, c’est un mode un peu différent. J’ai de quoi résoudre le problème, pas tout de suite mais bientôt. J’ai une petite grimpette au mât à faire, mais maintenant, à force, c’est une formalité ! Ce sera la 5ème montée. Je plaisante, ce n’est pas du tout une formalité, ce n’est jamais une formalité de monter au mât.

Je suis bien content d’être revenu au contact de Charlie (Dalin). Ça fait du bien quand les choses vont dans le bon sens. C’est stimulant ce petit speed test avec un bateau assez proche en termes de performance. Ça va nous stimuler pour rejoindre Yannick (Bestaven), même si ce sera très très compliqué. Même si on ne lâche rien, il faut quand même des situations météo propices pour recoller. C’est maintenant et jusqu’à la latitude de Salvador de Bahia puis après en Atlantique Nord sur la dernière semaine qu’on peut espérer faire quelque chose. Ça ne laisse pas beaucoup de fenêtres de tir.

Alexia Barrier, TSE-4myplanet

Je me demandais si je n’allais pas aller plus au Nord pour éviter les dépressions. Finalement, je vais aller tout droit parce que j’ai vraiment hâte de rejoindre le Cap Horn, en gardant une petite marge avec la zone des glaces. Ça fait deux jours que je réfléchis à ça, à voir comment ne pas trop me faire éclater avec les dépressions à venir…

J’ai Sam (Davies) à côté de moi, on a pas mal échangé par Whatsapp. On se connaît bien, on a navigué ensemble à l’époque de Roxy. On a un groupe Whatsapp de filles. On se donne des petites nouvelles, on échange pas mal entre femmes skippers, c’est sympa de parler entre filles ! On a très à cœur de terminer ce tour du monde toutes les six, on se soutient vraiment (…) Je n’ai pas beaucoup de vent depuis 24h, mais j’avance quand même dans la bonne direction. Avec ce qui est arrivé à Pip (Hare), j’ai bien inspecté mes safrans, j’ai bien pris le temps de tout regarder à bord. Tout va bien donc c’est plutôt rassurant. Je me repose pas mal aussi parce qu’après ça va être moins rigolo. Il va y avoir une semaine voire 10 jours de temps costaud. J’ai l’impression que le Pacifique aspire doucement le vent et que d’un seul coup il va tout lâcher ! Il y a deux gros coups de vent qui arrivent. Si je rase la zone des glaces j’aurai du vent un peu moins fort. C’est la dernière ligne droite avant le Horn. Il reste 3 000 milles à faire, je serre les dents et je fonce !

Je pourrais faire deux fois le tour du monde en termes de bouffe. J’ai 4 000 calories par jour et depuis le départ, je n’arrive pas à manger la moitié. J’ai encore plein de nourriture à bord. Ça ne va pas être un problème pour moi. Mon équipe était un peu terrorisée à l’idée que je manque !

Manu Cousin, Groupe SÉTIN

Je ne m’attendais pas à ça, je rêvais de grandes houles. Je viens de refaire un empannage pour essayer d’avoir des conditions un peu moins pires. La mer est hyper dure, c’est n’importe quoi. On est obligé de réduire la vitesse parce que le bateau retombe dans les vagues avec fracas. La mer est courte et très mauvaise. Il faut éviter de tout casser. Cela gâche un peu le plaisir pour être honnête. C’est bon maintenant, on a vu, on a compris, il me tarde d’en sortir. Je serre les fesses car j’ai toujours mes fissures sur le safran. J’ai parfois mal pour le bateau. Ce n’est pas simple à vivre mais il nous reste grosso modo une petite semaine pour parer le Horn avec un bateau indemne.

On a l’impression d’être dans un autre espace-temps. C’est à la fois majestueux, mais cela peut faire peur aussi par cette immensité d’eau. Je n’ai pas vu de terre depuis longtemps. Je ne me rappelle même plus de la dernière terre que j’ai vue. Je crois bien que c’est Les Sables d’Olonne. On oublie en fait, c’est tellement loin maintenant.

CLASSEMENT à 15h00 Heure Française

1. Yannick Bestaven, Maître CoQ IV, à 5 337.78 milles de l’arrivée
2. Charlie Dalin, Apivia, à 394.95 milles du leader
3. Thomas Ruyant, LinkedOut, à 404.19 milles du leader
4. Damien Seguin, Groupe APICIL, à 466.61 milles du leader
5. Louis Burton, Bureau Vallée 2, à 561.5 milles du leader

Crédit Photo : A.Huusela

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– CP –

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