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VG2020 : un retour et une mise en orbite

Jérémie Beyou est arrivé en début d’après-midi sur les pontons des Sables-d’Olonne, ému et les traits tirés par la déception. Dans le même temps, la tête de flotte, toujours menée par Jean Le Cam, file à vive allure vers l’Alizé. Les « foilers » pourront bientôt exprimer tout le potentiel de leur IMOCA. « Ils vont faire parler la poudre » s’amuse Kevin Escoffier. Les retardataires, eux, sont toujours encalminés à cause du manque de vent. Retour sur les nombreux destins croisés de la journée. 

JÉRÉMIE BEYOU, LE RETOUR

Il a remonté le chenal par un beau samedi ensoleillé, du monde était là pour l’acclamer mais il voulait être « partout, sauf ici ». « Je pensais qu’en revenant en janvier, le monde aurait un peu changé. Mais une semaine après, rien n’a changé », lâche Jérémie Beyou sur les pontons. Cela fait deux jours qu’il a fait demi-tour, qu’il s’est jeté sur le garde-manger et qu’il communique avec son équipe pour oublier. Mais c’est dur, surtout pour un gaillard qui s’y prépare sans compter depuis quatre ans. Jérémie Beyou est un compétiteur, fan de sport. Il sait que le match pour lequel il est engagé depuis quatre ans, il l’a perdu. « Le coup d’arrêt est brutal », confie-t-il, la voix tremblante. Mais le skipper de Charal ne souhaite pas s’arrêter là. « Si on est capable de repartir, effectivement, on prendra le départ ». L’équipe se donne 24 heures pour faire un ‘check-up’ complet du bateau. D’après le règlement, il peut repartir jusqu’à mercredi à 14 heures 20.  

DES « FUSÉES » VERS L’ALIZÉ

Après avoir contourné la dépression tropicale Thêta, la tête de flotte bénéficiait encore de 15 à 20 nœuds durant la journée. Leur mission ? Empanner pour assurer la transition entre le vent de Nord à Nord-Ouest et l’Alizé qui souffle d’Est, Nord-Est. Il y a une expression pour ça : adopter une trajectoire en forme d’aile de mouette. Et il n’en fallait pas plus pour que les « foilers » prennent leur envol. Situé le plus à l’Ouest, Charlie Dalin (Apivia) est le premier à empanner quand Thomas Ruyant (LinkedOut) et Kevin Escoffier (PRB) ont fait des bords pour y parvenir. À 150 milles au Sud-Ouest du quatuor, Jean Le Cam (Yes We Cam!) et Alex Thomson (HUGO BOSS) ont empanné en début d’après-midi. Ils bénéficiaient ainsi d’un meilleur point d’empannage et donc d’une route légèrement plus directe.  

« Après, ça va faire parler la foudre, s’amuse le skipper de PRB. Ça va être un long bord tout droit vers le pot au noir et les ‘foilers’, qui n’ont pas encore eu l’occasion de montrer leur potentiel, vont enfin pouvoir le faire. Ça va envoyer du bois ! » Thomas Ruyant, interviewé en direct dans le Vendée Live, corrobore : « on va pouvoir fermer les angles et commencer à accélérer. »

Car pour l’instant, le pot au noir est très peu actif, une aubaine. Mais la vigilance sera de mise explique Sébastien Josse, trois Vendée Globe au compteur : « Ce ne sera pas une croisière avec la force du vent – 20 à 25 nœuds – et les choix de voiles à faire (code 0, petit gennaker) ». Le groupe de tête devrait atteindre l’Alizé dans la nuit.

DES LOUANGES POUR LE « ROI JEAN »

Devant ces foilers de dernière génération, il y a donc un homme de 61 ans à bord d’un bateau âgé de 12 ans qui a gagné le Vendée Globe en 2008-2009. Jean Le Cam, qui a repris la tête du classement à la mi-journée, bénéficiait toujours de 21,5 milles d’avance sur Alex Thomson. Chez les autres skippers, Le « Roi Jean » forçait l’admiration. « Jean est incroyable. Être là où il est avec ce bateau et à son âge, c’est brillant », s’enthousiasmait Alex Thomson. 

Maxime Sorel (V and B – Mayenne), lui aussi à bord d’un bateau à dérive droite, ne dit pas autre chose : « sa trajectoire est très osée. Il fait le moins de manœuvres possibles et il change peu de voiles et ça aussi, c’est très osé ! ». « Forcément, Jean est un peu émoussé par cette décharge d’effort, expliquait Jacques Caraës, le directeur de course. Mais il démontre à quel point l’expérience des mers du Sud est précieuse : il a moins d’appréhension, il connaît plus ses limites et celles de son bateau. » Autre skipper à bord d’un bateau à dérives droites à impressionner : Benjamin Dutreux, 31 ans de moins que Le Cam et 3e du moment pour son premier Vendée Globe.

ILS ONT PRIS LE BON TRAIN

Derrière les cinq premiers, ils sont vingt à avoir pris le « bon train » et à s’extraire progressivement des vents forts de Thêta. Parmi eux, il y a Sam Davies, heureuse ce matin de profiter enfin d’un soleil éclatant après « s’être échappée de la dépression ». « Je ne voulais pas trop pousser le bateau, j’ai essayé de bien me placer. » Seule alerte sur le bateau ? Une boite de sardines qui « a explosé dans un sac de nourriture ». « La pire des catastrophes » s’amuse-t-elle. Son compagnon, Romain Attanasio, est bien placé aussi, lui qui a enfin profité de sa première boisson chaude – un thé – et de son premier petit-déjeuner. « Le beau temps arrive, on va pouvoir faire tomber les fringues, expliquait le skipper de PURE-Best Western Hotels & Resort. J’ai enlevé mes bottes seulement 2 à 3 heures ! ».

DERRIÈRE, LA GALÈRE

Être compétiteur, vouloir traverser les mers du globe et se retrouver englué dans 4 nœuds de vent… C’est ce qu’affronte la queue de peloton à l’instar d’Ari Huusela (Stark), de Miranda Merron (Campagne de France), d’Alexia Barrier (TSE – 4myplanet), de Clément Giraud (Compagnie du Lit / Jiliti), de Sébastien Destremau (Merci) et d’Armel Tripon (L’Occitane en Provence). Et ce n’est pas fini. « Le couloir de vent entre la dépression et le front au-dessus s’est quasiment cassé, décrypte Christian Dumard, le météorologue du Vendée Globe. Ils sont au cœur d’une zone sans vent et derrière, il y a la ‘molle’ qui revient. Ça ne va pas être très réjouissant. » Pourtant, Armel Tripon voulait garder le sourire comme il l’a confié dans la matinée : « Il y aura des moments plus opportuns pour revenir, la route est longue. Et c’est sympa d’être là, de faire du bateau, de voir toutes les étoiles, c’est super beau. »

KOJIRO SHIRAISHI, VOILE DÉCHIRÉE

En milieu d’après-midi, l’équipe DMG Mori Global One a communiqué sur une avarie à bord du bateau de Kojiro Shiraishi. Après un empannage destiné à contourner la dépression Thêta, le Japonais, 19e à 15h, a été victime d’une panne de ses autopilotes. Lors d’un 3e empannage, sa grand-voile s’est déchirée au-dessus de la 2e latte. Son équipe se voulait rassurante : « le skipper n’est pas blessé et le bateau n’est pas en danger. Nous allons proposer différentes solutions pour réparer la grand-voile et continuer la course. »

Ils ont dit

Jérémie Beyou, Charal

Ce qui est dur, c’est la décision de faire demi-tour. Tu sais que tu es forcé de renoncer à ce sur quoi tu t’es concentré pendant quatre ans de préparation. Forcément, sur le coup, c’est très dur. Revoir tout le monde à l’arrivée, ça remet une grosse dose d’émotion et ce n’est pas facile à gérer. Tu aimerais être partout sauf là. Tu es heureux qu’il y ait des gens mais c’est un peu triste quand même. Ça donne de l’énergie mais ce n’est pas facile à gérer. N’importe qui ne serait pas insensible à ce qui se passe. La course s’arrête. Peut-être que certains diront que ce n’est que du sport. Mais c’est du sport et j’ai tout investi dedans depuis plus de quatre ans donc le coup d’arrêt est très brutal.

Il faut essayer désormais d’effacer l’émotion, il faut être cartésien. On se donne 24 heures pour checker le bateau, checker les avaries principales, de safran et de barre d’écoute. Dans le choc, il y a eu plein de dommages collatéraux. Dans 24 heures, on aura un état des lieux de tout ce qui est cassé, de ce qui est réparable. Si on est capable de repartir, effectivement, on prendra le départ. C’est évidemment l’objectif. Je pensais qu’en revenant en janvier, le monde aurait un peu changé. Une semaine après, ça n’a pas beaucoup changé malheureusement. Pour l’instant, il y a une superbe course devant, ça navigue vraiment bien. Il faut continuer à encourager ceux qui sont encore en course. C’est une affaire de contraste qui ne nourrit pas l’imaginaire mais la réalité de cette course qui est à part. 

Alex Thomson, HUGO BOSS

Ça n’a pas été agréable, ça c’est sûr. Les prévisions météo étaient bonnes : très venté, une mer forte, pas vraiment un endroit où il faut être. On peut mesurer la hauteur des vagues à bord et là où j’ai été, j’ai dû avoir 6m, 6,50 m. J’ai eu des rafales à 60 nœuds et 50 nœuds constants pendant plusieurs minutes. Traverser la dépression comme ça était la route la plus performante, mais dès que tu arrives dans ce genre de conditions, en fait, c’est de la survie et tu espères que tout ira bien. Jean Le Cam se rapproche de moi ! Mon Dieu, Jean Le Cam est incroyable, incroyable. Être là où il est avec ce bateau et à son âge, c’est incroyable, brillant ! Aujourd’hui, on va empanner pour faire du sud, faire un bon repas et essayer de rattraper le sommeil en retard. J’en ai vraiment besoin. 

Sam Davies, Initiatives-Coeur 

Je me suis échappée de la dépression tropicale et la deuxième partie de la nuit le vent était plus stable. J’ai remis de la toile. Le lever de soleil de ce matin ressemblait un peu à un lever de soleil dans l’Alizé. Je suis super contente de ma course et de mon bateau. Tout va bien à bord, mon bateau me laisse faire ce que j’ai envie, je n’ai pas eu de gros soucis techniques à gérer. La pire catastrophe, c’est la boîte de sardines qui s’est explosée dans un sac de nourriture ! À part ça tout va bien à bord. J’avais comme mission de ne pas trop pousser le bateau parce que la route est longue. J’ai essayé de bien me placer, de bien faire attention et pour l’instant je suis contente.

Armel Tripon, L’Occitane en Provence

Hier après-midi, je suis monté dans mon mât (pour solutionner son problème de drisse de petite voile d’avant). Une première étape qui s’est bien passée et qui permet de naviguer, d’envoyer des voiles. Le bateau ne pouvait pas fonctionner normalement, c’était une situation qui n’était pas tenable… Je suis derrière la dépression tropicale, ça va s’atténuer au fur et à mesure. Il y a des chances pour que je fasse un peu moins de route. Il y aura des moments plus opportuns pour revenir. La route est longue ! C’est quand même sympa d’être là, de faire du bateau, d’être sur cette course. C’est une satisfaction. Cette nuit, on voit toutes les étoiles et c’est super beau. Le bateau file doucement et se balance avec la houle. C’est calme et il faut pouvoir profiter de ces moments !

Didac Costa, One Planet One Ocean

Il semble enfin que je quitte le calme dans lequel je me trouvais depuis hier soir. S’il est logique de penser à la dépression tropicale Thêta, la vérité est qu’aujourd’hui toute mon attention était concentrée sur l’idée de pouvoir avancer, même si ce n’était qu’un peu, pour sortir de la zone sans vent. La joie du jour est sans aucun doute le moment où le vent arrive enfin. Il est inévitable de sourire lors du redémarrage, quand tu peux à nouveau entendre l’eau couler sous la coque. Le bateau se déplace bien et vite à nouveau. Et maintenant oui, je vais penser à Thêta.

Fabrice Amedeo, Newrest – Art & Fenêtres

Il faut garder le moral malgré ce début de course un peu cauchemardesque. Là, j’ai un scénario météo plutôt défavorable. Il va falloir être patient, ce n’est pas facile. Il y a eu des moments difficiles. J’étais parti en mode compétition et je suis déjà en mode aventure… Il y a 4 ans, j’avais fait une belle descente de l’Atlantique, donc c’est un peu dur cette année. Même dans les moments difficiles, je me dis que j’ai une énorme chance d’être sur le Vendée Globe. Je fais le dos rond et j’attends que la chance tourne.

CLASSEMENT
18:00 (heure française)
 
 
1. Jean Le Cam – Yes We Cam! à 22 813.5 milles de l’arrivée
2. Alex Thomson – HUGO BOSS à 14.91 milles du leader
3. Benjamin Dutreux – OMIA – Water Family à 27.44 milles du leader
4. Kevin Escoffier – PRB à 73.66 milles du leader
5. Damien Seguin – Groupe APICIL à 81.55 milles du leader

Crédit Photo : Olivier Blanchet

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– CP –

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