TJV : Situation météo inédite et binômes opportunistes
Aujourd’hui, à 13h15, les 59 duos s’élanceront dans des conditions très maniables, cap d’abord sur Etretat avant de gagner le large plein ouest. Si la sortie de la Manche s’annonce rapide au portant, les premiers choix cornéliens attendent les marins au large d’Ouessant lundi matin. La météo de la 14ème édition de la Route du café innove puisqu’une grande dépression stationnaire barre la route des alizés. Faut-il gagner au sud ou la contourner par l’ouest ? Pour les skippers, les dés ne sont pas jetés. Mais quelle que soit l’option, la descente vers Salvador de Bahia s’annonce longue…
Combis sèche et « Manche » courte
« En Manche, les 24 premières heures vont être clémentes, c’est déjà pas mal » se réjouissait Fabien Delahaye (Leyton) au dernier briefing avant le départ. Le puissant anticyclone placé sur le Nord des îles Britanniques canalise en effet un bon flux de nord-est sur la Manche. Avant d’en profiter pour foncer vers l’ouest, il faudra tirer quelques bords vers le nord entre la ligne de départ et la bouée spectacle Région Normandie, mouillée au pied des falaises d’Etretat. 16 milles de mise en jambe qui pourraient prendre pas mal de temps selon le Havrais Charlie Dalin (Apivia) : « Nous serons au louvoyage à contre-courant avec un fort coefficient de marée,… la remontée pourrait prendre environ 3 heures ». Les grandes voiles de portant ne sortiront donc des soutes qu’en fin d’après-midi de dimanche pour un premier bord tout droit vers la pointe du Cotentin que la tête de flotte devrait passer en début de nuit. De quoi emmagasiner un peu de repos après l’émotion de cette longue journée.
Les choses vont se compliquer dans la nuit de dimanche à lundi où le vent ne va pas cesser de forcir jusqu’à 25-30 nœuds. Plusieurs changements de voiles de portant et empannages sont à prévoir, manœuvres les plus consommatrices d’énergie pour les binômes qui vont connaître leurs premières suées sous les combinaisons sèches. Les IMOCA et Multi50 de tête sont attendus au sortir de la Manche lundi au petit matin. Pour les Class40, il faudra patienter jusque dans l’après-midi.
Le barrage de l’Atlantique
Dans la soirée de lundi, il ne faudra pas relâcher son attention sur la cartographie (remise à jour toute les heures). En fonction du cap suivi, on saura ce qu’ont en tête les binômes et leur décision sera déterminante. La grande dépression qui barre l’Atlantique Nord est en effet un vrai « dispositif de séparation du trafic ». Richard Silvani de Météo France explique : « Traditionnellement à cette saison, les perturbations balaient l’Atlantique, permettant, au passage des fronts, de gagner vers l’ouest puis le sud pour les skippers. Cette année, la grosse dépression est stationnaire et forme une vraie situation de blocage ».
La première option conduit les concurrents vers l’Espagne puis les côtes africaines, en tirant des bords dans un vent plus ou moins soutenu mais toujours campé au sud-ouest.
Alors pourquoi ne pas profiter de la position très méridionale de la dépression pour en faire le grand tour par l’ouest ? Un choix radical avec à la clef un tout autre menu météo : du portant très soutenu, une mer dure et croisée dans le nord-ouest de l’archipel des Açores… et 400 milles de plus à parcourir pour gagner Salvador de Bahia. Casse-bateau mais plus rapide aujourd’hui sur l’ordinateur …
Quels seront les duos franc-tireurs ?
Les conditions annoncées à l’ouest ne semblent pas très enviables pour les Multi50 qui risquent de chercher à esquiver le long de la Galice et du Portugal. Pour les Class40, robustes mais moins véloces, rallonger autant la route, est aussi un jeu à haut risque.
Et chez les IMOCA ? Certains ne croient pas une seconde à cette descente par l’ouest comme Sébastien Audigane (La Fabrique) qui considère que la « porte s’est refermée depuis longtemps, trop longue et avec un mauvais angle d’atterrissage sur l’Equateur ». D’autres comme Antoine Koch pense que « les modèles ne sont pas calés. C’est une route qu’il ne faut pas exclure et il faudra décider au dernier moment ». Sûrs de la fiabilité de leur IMOCA, Yoann Richomme et Damien Seguin prendront-ils ce risque ? « Après Ouessant, on a encore douze heures pour décider si on y va ou pas explique Yoann. C’est une question de prise de risque, on peut s’attendre à voir la flotte exploser en deux ! »
Pascal Bidegorry semble lui aussi partagé : « La flotte peut spliter ! Mais le problème de ces dépressions très basses en latitude, c’est surtout qu’elles tuent l’alizé. Normalement, il se reconstitue par l’est mais ce n’est pas terrible de traîner le long du Maroc pour rejoindre le Pot-au-noir… » grimaçait ce matin le co-skipper basque de 11th Hour pour conclure : « Ça ne sent pas le record tout ça, on voit plutôt 14 jours de course… »
Sur l’ensemble des déclarations, on sent que la route classique le long des côtes portugaises et africaines pourrait bien attirer le gros des troupes. Une option à l’intérieur de laquelle, il peut d’ailleurs subsister beaucoup de jeu et des décalages marqués pour attraper le premier l’alizé… Une fois aux latitudes plus ensoleillées, il restera plus de la moitié des 4 350 milles à couvrir et pas forcément les plus simples : grains, passage du Pot au Noir, alizés de l’hémisphère Sud à encaisser, la route est longue vers Salvador de Bahia. Le premier duo à entrer dans la Baie de tous les saints aura sans doute pris des risques mais aussi bien soupesé leurs conséquences.
Ils ont dit
Ian Lipinski, Crédit-Mutuel (Class40)
« Jusque-là c’est compliqué ! C’est dur de se décider, au près le long du Portugal ou dans l’ouest du côté des Açores pour bénéficier d’un meilleur angle ? Ca bouge beaucoup, ça laisse une ouverture quand même. Mais je pense qu’il y a un intermédiaire entre l’ouest et l’est. A confirmer aujourd’hui. Le plus compliqué, c’est de se dire comment récupérer les alizés. Les fichiers ne sont pas d’accord. On ne sait pas du tout comment ça va évoluer. »
Sébastien Marsset, Pure (IMOCA)
« On aura un départ dans des conditions sympas avec du Nord-est pas trop fort, après on aura du vent à la pointe Bretagne. Et on puis, on devra faire un choix entre une route au portant un peu longue et une route au près moins rapide. On n’a pas fait notre choix encore, on va regarder ce midi, ce soir et demain matin. Même demain matin on n’aura pas choisi. Il ne faut pas se précipiter, peut-être que d’ici demain il y aura une solution évidente. Les modèles ne voient pas les centres dépressionnaires au même endroit. Il faut surveiller. Les premières séparations de trajectoires se verront peut-être à la pointe du cotentin.
Louis Duc, Crosscall – Chamonix Mont-Blanc (Class40)
« Je voulais des fronts, des grosses branlées au près, il n’y en aura pas ! Ce n’est pas drôle, ce n’est pas une vraie tempête de mois de novembre, il aurait dû reculer le départ de 15 jours ! Sérieusement, il va quand même falloir se méfier en Manche, car on aura de l’air au portant, le vent va monter vite. Il ne faudra pas s’enflammer, il ne faudra pas casser nos spis tout de suite. Après, beaucoup de choses sont possibles : tu peux aller tout droit ou faire le choix de gagner dans l’ouest. Tout ça va évoluer, ce sera différent encore à Ouessant, à nous de bien suivre tout ça pour savoir la stratégie qu’on va adopter »
Louis Duc, Crosscall – Chamonix Mont-Blanc (Class40)
« Je voulais des fronts, des grosses branlées au près, il n’y en aura pas ! Ce n’est pas drôle, ce n’est pas une vraie tempête de mois de novembre, il aurait dû reculer le départ de 15 jours ! Sérieusement, il va quand même falloir se méfier en Manche, car on aura de l’air au portant, le vent va monter vite. Il ne faudra pas s’enflammer, il ne faudra pas casser nos spis tout de suite. Après, beaucoup de choses sont possibles : tu peux aller tout droit ou faire le choix de gagner dans l’ouest. Tout ça va évoluer, ce sera différent encore à Ouessant, à nous de bien suivre tout ça pour savoir la stratégie qu’on va adopter »
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– CP –
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