Route du Rhum-Destination Guadeloupe 2018 : Carrefour des incertitudes
Alex Thomson s’étant échoué jeudi soir et ayant mis en route son moteur, le Jury International l’a pénalisé à l’unanimité de 24 heures, une sanction que le Britannique a totalement acceptée. Ce rebondissement implique que la première place en monocoque IMOCA se joue désormais entre Paul Meilhat et Yann Éliès, attendus dans la nuit de vendredi. Avec quinze milles d’écart à moins de cent milles de l’arrivée, le match est relancé…
Mais comment donc va se terminer cette onzième Route du Rhum-Destination Guadeloupe ? Après le final incroyable entre Francis Joyon et François Gabart pour la première place au scratch, après la troisième place d’Armel Tripon sur son petit trimaran, vainqueur en Multi50, voilà que le premier IMOCA arrivé à Pointe-à-Pitre risque fort de ne pas conserver sa première place ! Car avec cette pénalité de 24 heures, son temps de course est désormais de 12 jours 23 heures 10 minutes 58 secondes… Il faut donc que ses poursuivants arrivent avant samedi 8h 10’ 58’’ (heure locale – 13h10’58 » heure de Paris) pour le devancer.
Un tour pour les duellistes
La pression est ainsi devenue énorme sur les épaules de Paul Meilhat (SMA) qui a réalisé un parcours parfait pour l’instant sur son monocoque IMOCA sans foils : deuxième depuis quasiment la sortie du golfe de Gascogne, le solitaire a réussi à contenir les assauts de Vincent Riou (PRB), puis de Yann Éliès (UCAR-StMichel) mais sur cette grande descente finale, le delta d’une quinzaine de milles n’est pas suffisant pour aborder le tour de l’île papillon sereinement ! Heureusement, les duellistes atterrissant sur la Tête à l’Anglais vers 16h00 locale, ils pourront encore discerner les risées qui dévalent des reliefs volcaniques de Basse-Terre. Mais tout le monde sait que la partie n’est pas gagnée particulièrement entre Deshaies et Rivière-Sens. Puis entre la bouée mouillée devant la marina de Gourbeyre et le canal des Saintes !
Lors des dernières vacations radio, Paul Meilhat avait clairement indiqué qu’il était « rincé », extrêmement « fatigué », mais cette nouvelle donne avec une victoire possible sur la Route du Rhum-Destination Guadeloupe a de quoi transcender le plus exténué des skippers ! Car ne nous leurrons pas : Yann Éliès doit aussi être dans un état proche de l’asphyxie… Mais il est aussi un poil plus rapide dans ces alizés d’une vingtaine de nœuds de secteur Est. Bref, tout va dépendre de la configuration météorologique sous le vent de la Guadeloupe : sur le papier,SMAapparaît un peu plus réactif sans foils, et Éliès plus habitué aux coups tordus qu’il a circonscrits lors de ses moult Solitaire du Figaro… La victoire va se jouer de taille et d’estoc, tels deux escrimeurs sur la piste : gardes toi à droite, gardes toi à gauche !
Multi50 – Tripon troisième en Guadeloupe
« La transitions est brutale là… il y a encore une heure j’étais tout seul sur mon bateau à régler mes voiles. C’est un accueil incroyable. C’est juste énorme comment ne pas être ému ? Je ne sais pas comment exprimer, cette course s’est menée à un rythme infernal, je ne savais pas très bien où je mettais les pieds en arrivant sur cette Route du Rhum, c’était peut-être un pari osé, mais j’ai assez rapidement trouvé
mes marques, je me sentais plutôt à l’aise sur le bateau. Je ne
fanfaronnais pas mais mon ambition était de gagner, depuis la fin de la
Transat Jacques-Vabre l’an dernier, je me suis préparé pour ça, mon
partenaire m’a fait confiance, il m’a dit OK pour m’entraîner aux
Canaries, OK pour tel équipement, cette confiance m’a mis dans une
situation de sérénité, ce dont on a besoin en tant que compétiteur, ça
permet d’être calme sur l’eau et de prendre les bonnes décisions.
J’ai le sentiment du travail accompli. C’est un projet qui s’est construit il y a deux ans et qui s’achève sur une belle victoire. C’est la victoire de l’engagement, de la préparation en amont, c’est un ensemble de choses. C’est une course qui se gagne sur l’eau mais aussi à terre pendant la préparation. La troisième place toutes catégorie derrière les deux ULTIME, c’est la cerise sur le gâteau.
Ce sont des bateaux fatigants nerveusement et physiquement parce qu’il faut les faire avancer vite. Ce sont aussi des petits bateaux. Quand on est en large, on n’en mène pas large. On a eu des conditions vraiment pas faciles ces derniers jours. Je suis allé un peu loin et la dernière nuit, je ne sais même plus ce qui s’est passé, j’ai eu un trou noir pendant quelques heures. Je me demandais ce que je faisais là. Si on veut gagner des courses, de toute façon, il faut aller loin, il n’y a pas d’autres solutions. C’est un équilibre à trouver. Mais je n’ai pas eu de gros gros temps… Moi, j’ai évité ça.
Mes armes : ça a été un ensemble de choses. L’envie d’abord. Je suis celui qui a le plus navigué en solitaire cette année pour préparer spécifiquement le Rhum. Je m’y prépare depuis la fin de la Transat Jacques Vabre l’année dernière… ça s’est joué beaucoup là- dessus. A terre aussi, j’avais une cellule routage excellente et mon bateau était extrêmement bien préparé. C’est un sport mécanique, il faut que les bateaux tiennent. On tire dessus tout le temps et là, c’est ce que j’ai fait, je n’ai pas eu d’état d’âme.
Mon option Sud, je n’ai jamais douté. Il était hors de question que j’aille dans le Nord, j’y avais mis mon véto. J’avais dit que je ne voulais pas, que ce ‘était pas mes conditions et du coup, j’ai tout fait pour cravacher. La porte a failli se fermer… on a été bloqué dans le golfe de Gascogne pendant une douzaine d’heures. C’était très stressant cette partie dans le golfe de Gascogne, je me suis dit à un moment que la course allait se jouer là dessus et d’ailleurs, quelque part, elle s’est jouée là dessus parce que Thibaut et Erwan n’ont pas eu le choix que d’aller dans le nord eux…
Cette option Nord, j’étais persuadé qu’il y aurait des dommages, nos bateaux ne sont faits pour naviguer dans ces conditions, on casse du matériel on y laisse des plumes, alors que moi, je savais que j’allais être à 100%. Le chavirage de Lalou, ça fait froid dans le dos quand on l’apprend, on sait que ça bascule très vite. Sur ces bateaux, on est vite dans une situation tendue qui peut devenir critique, c’est toute la difficulté du multicoque et encore plus du Multi50 qui est un tout petit bateau. On a tout le temps ça dans un coin de la tête, il faut vivre avec, mais ça use mentalement.
La victoire, j’y ai presque pensé trop tôt ! Quand Thibaut fait un break aux Açores pour réparer, j’ai une avance assez confortable, le jeu a été de gérer cette avance, ce n’était plus la même course et elle est devenue stressante, parce que je n’avais pas d’autre choix que de gagner alors que quand tu es à la bagarre, tu n’y penses pas. Ça devenait prégnant dans tous mes choix, tous mes mouvements, à la fin, c’était très stressant, je ne savais plus s’il fallait attaquer ou non.
Je vais passer sur une seule coque pour le Vendée Globe, mais je dois avouer que j’ai vraiment pris goût au multicoque, ce bateau génère de telles sensations, une telle adrénaline, je me suis senti assez en phase avec ces bateaux, il y a un feeling à avoir, comme le ski et le surf, que tu ne retrouves pas forcément en monocoque, où c’est plus bourrin, il faut mettre de la toile et bourrer dedans. En multi, il y a un dosage assez subtil à avoir, c’est sympa, maintenant, peut-être que dans quatre ans, je ferai le Rhum en multicoque.
Bonus : Le plus rapide autour de Basse Terre
S’il n’améliore pas le temps de référence sur le parcours de la transat détenu depuis 2014 par Erwan Le Roux, Armel Tripon s’empare du meilleur temps autour de la Guadeloupe (entre la Tête à l’Anglais et la ligne d’arrivée) en 4h37. Mieux que ce qu’avait réalisé Lionel Lemonchois sur Prince de Bretagne en 2014 (4h55)
IMOCA – Thomson pénalisé
Moins de 40 minutes après avoir franchi la ligne d’arrivée, il a été notifié au skipper britannique qu’il écopait d’une pénalité de 24 heures. Elle s’ajoute à son temps de course qui devient de fait 12 jours, 23 heures, 10 minutes, 58 secondes. Cette décision a été prise à l’unanimité du jury international composé de cinq membres (deux Français, deux Anglais, un Allemand). Elle est sans appel et relance évidemment la course à la victoire finale chez les IMOCA puisque Paul Meilhat et Yann Eliès, actuellement à 140 milles de Pointe-à-Pitre, sont attendus dans une dizaine d’heures. « Je veux rendre hommage à Alex (Thomson) qui a eu une réaction d’une grande sportivité, a expliqué Georges Priol, président du jury. L’aspect sécuritaire n’a été qu’une circonstance atténuante qui a évité la disqualification. Mais la pénalité de 24 heures était le minimum applicable dans le cas du skipper d’Hugo Boss. »
Les premiers mots d’Alex Thomson
« J’espérais arriver en tête en Guadeloupe, pas la cogner. J’ai dormi une heure, j’avais besoin de me reposer avant d’attaquer la fin de la course. Je ne me suis pas réveillé comme c’était prévu. J’ai eu 24 heures de pénalité, c’est beaucoup mais je comprends la décision. Je me suis disqualifié tout seul. C’est une honte parce que j’avais fait une très belle course. Quand je me suis réveillé, je ne m’en suis pas rendu compte. Il y avait des algues partout. Sur l’ordinateur, j’ai seulement vu qu’il y avait des rochers.
Je suis dévasté, déçu après cette belle course, surtout que cela se joue à quelques détails. Ce sera dur de surpasser la déception. Nous avions clairement le bateau le plus rapide et on a fait une très belle course. Mais nous avons fait beaucoup de chemin depuis le Vendée Globe, il reste beaucoup de positif à retenir de tout ça. Pour moi, Paul (Meilhat) fera un très beau vainqueur. C’est un très bon marin et il a fait une sacrée course. Ce sera un plaisir de l’accueillir sur les pontons. »
Class40 – La métaphysique océane
Les conditions météo sont radicalement différentes entre les premiers qui bénéficient d’un alizé plus ou moins établi, et le milieu de la flotte au cœur d’une nouvelle dépression ! Entre réflexions philosophiques et état des lieux parfois dégradés, quelques florilèges de quelques solitaires répartis dans l’Atlantique.
Classes Rhum – Deux mondes
Désormais séparée du peloton par plus de 2 000 milles d’océan Atlantique, la tête de la flotte des monocoques comme celle des multicoques de la catégorie Rhum, ne vit plus au même rythme que les solitaires aux prises avec une nouvelle dépression au large de la péninsule Ibérique.
Pour ces voiliers déjà fort bousculés depuis douze jours de course, les attitudes divergent quant à la conduite à tenir face à des vents de Sud à Sud-Ouest annoncés à plus de 60 noeuds en rafales. Trois multicoques, les catamarans de Bertrand De Broc et de Christian Guyader, imités par Gildas Breton sur son trimaran, cherchent abri et apaisement du côté de Cascais.
Les quatre monocoques d’Eric Bellion, Christophe Souchaud, Nicolas Magnan et Dominique Dubois tentent de traverser le front bille en tête, quitte à en subir les affres durant d’éprouvantes heures. Ils se rapprocheront ainsi de cette orthodromie totalement délaissée cette année par les concurrents de cette onzième Route du Rhum-Destination Guadeloupe. Ils n’auront pas à endurer cette longue route suivie par leurs devanciers qui cherchent encore aujourd’hui, loin au Sud des Canaries, un alizé en voie de rétractation, sous les coups de boutoir de la dépression atlantique en son Nord.
Les monocoques et les multicoques qui évoluent dans ce secteur, connaissent une nouvelle journée lente, à faible progression vers la marque. Mais lent ne signifie point, et loin de là, farniente et repos à bord. Ainsi qu’en témoignait aujourd’hui Jean-Marie Patier, dont le long cigare rouge Innovative Networks bataille en compagnie de Wilfrid Clerton et de Luc Coquelin par 25 degrés de latitude Nord : un vent désordonné lui a imposé de longues séances de changements d’amure et même de voiles. Le Sud se paie chèrement pour ces voiliers toujours en quête d’alizés, et à qui il tarde de mettre enfin cap vers la Guadeloupe.
Un autre décor
A hauteur de Madère, Nils Boyer, à la trajectoire plus qu’erratique hier, a repris un cap cohérent qu’il suit aujourd’hui à bonne vitesse. Sidney Gavignet continue lui d’accroître son avance sur son dauphin et prétendant déclaré à la victoire, Sébastien Destremau. Tout en empannant régulièrement, un coup au Sud , un coup à l’Ouest, il progresse à bonne allure vers Pointe-à-Pitre distante ce soir d’un peu plus de 1 100 milles.
Pierre Antoine est indiscutablement le héros du jour. Il a avec maîtrise et sang froid, réalisé l’opération de récupération de Lalou Roucayrol, dont le Multi50 Arkema avait chaviré mercredi matin. Pierre a pris son temps, attendant à la cape le lever du jour pour revenir vers le trimaran renversé. Après avoir récupéré un bout, il a pu tranquillement et en toute sécurité haler le skipper naufragé vers l’abri de son trimaran Olmix. Pierre reprend peu à peu sa route, désormais dans l’attente des décisions prises par Lalou pour procéder aux opérations de sauvetage de son bateau. Largement en avance sur ses poursuivants immédiats, il peut avec sérénité appréhender les situations à venir. La place de dauphin du groupe est en revanche loin d’être décidée, et les grandes manoeuvres continuent entre Jean-François Lilti, Etienne Hochedé et Jean-Pierre Balmès. A défaut de leur proposer un angle de descente dans le vent très performant, les alizés soufflent avec régularité, et leur permettent de progresser à la faveur de petits empannages dans le tempo du vent.
Crédit Photo – A.Courcoux
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– CP –
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