Route du Rhum-Destination Guadeloupe : l’analyse du jour par Thomas Ruyant
Une fois n’est pas coutume et à défaut d’être engagés sur cette édition de la Route du Rhum – destination Guadeloupe, certains skippers de la Classe IMOCA apportent leur regard personnel et livrent chaque jour une analyse de la course en IMOCA.
L’analyse du jour par Thomas Ruyant
Après le démâtage d’Isabelle Joschke la nuit dernière, c’est Romain Attanasio qui a annoncé ce midi qu’il rebroussait chemin car ses voiles sont très endommagées. Toujours emmenés par le fougueux britannique Alex Thomson, 14 IMOCA font encore route vers Pointe-à-Pitre dans des conditions chaotiques et éprouvantes.
« En tant que marins, on n’aime pas être cueillis à froid en début de course avec des conditions si musclées. Malheureusement, une sorte de « sélection naturelle » s’opère. On sait aussi que sur ce type de transat, beaucoup de choses se jouent lors des trois premiers jours de course, c’est le moment des grandes options stratégiques. Il y a eu un premier passage à niveau avec la négociation d’un talweg (excroissance d’une dépression) 24 heures après le départ. Ceux qui ont tiré tout droit s’en sont bien sortis, comme Vincent Riou, Paul Meilhat et Alan Roura. Ceux qui ont viré ont perdu du terrain, à l’instar de Yann Eliès, Boris Herrmann ou encore Sam Davies. Avec son option à l’extérieur du DST d’Ouessant, Alex Thomson était déjà dans l’Ouest et il a moins subi cette zone complexe.
« Alex Thomson tire dans les coins, il va chercher les options à fond »
Maintenant, la position d’Alex Thomson me semble très intéressante. Il est vraiment allé chercher la bascule. Je ne suis pas étonné. Alex navigue comme ça, il tire dans les coins, il va chercher les options à fond. Je trouve très intéressant de voir de telles stratégies, ça me parle. Sur une transat, on gagne beaucoup à faire un gain dans l’Ouest très tôt dans la course. Ce sont des milles ‘gratuits’ pour la suite. Un degré de longitude à la latitude de Ouessant équivaut à 40 milles ; le même degré de longitude à la latitude du Cap-Vert, c’est 50 milles…
La clé pour Alex dans les 24 prochaines heures sera de réussir à allonger la foulée dans la mer croisée en arrière du front. S’il y arrive, je le vois bien dans deux jours avec une quarantaine de milles d’avance dans l’axe de ses deux poursuivants, Vincent Riou et Paul Meilhat, partis sur une option plus Sud. Les trois leaders devraient en effet avoir des routes un peu convergentes mercredi soir ou jeudi matin. On verra alors quelle a été la meilleure stratégie entre celle d’Alex et celle de Vincent et Paul.
« A chaque vague, on a mal pour le bateau… »
Actuellement, les conditions sont délicates pour les IMOCA. Le vent se gère assez bien. Les manœuvres pour réduire la toile sont compliquées mais les marins engagés savent faire. C’est vraiment la mer qui est la plus compliquée à gérer. En arrière du front, c’est un véritable chaudron. La mer est cassante, désordonnée. Avec Boris Herrmann, nous avons fait face à des conditions similaires l’an dernier lors de la Transat Jacques Vabre. Ça tape, c’est très humide, à chaque vague on a l’impression que le bateau va s’ouvrir en deux, on a mal pour lui… Dans ces cas-là, il faut un peu débrancher le cerveau pour attaquer. L’enjeu est de réussir à continuer à avoir une vie à bord à peu près normale, à s’alimenter, à faire quelques siestes, rester à l’écoute de la machine. Voilà l’ambiance du moment pour les marins. Ils ont tous le pied sur le frein, avec certainement les foils rétractés.
« Une situation météo favorable aux trois leaders »
Dans la soirée, la houle va encore grossir, avec des creux de 7 à 8 mètres, mais elle sera plus rangée. Les conditions seront plus propices à faire de la vitesse. A partir du milieu de nuit et surtout demain matin, le vent va commencer à diminuer, mais il y aura toujours de la mer. Les trois leaders sortiront du système dépressionnaire et entreront dans un régime anticyclonique. La situation semble très favorable pour les premiers. Une dorsale est en train de se former, ils ont des chances de passer tout juste avec un peu de vent. Cette dorsale sera beaucoup plus difficile à franchir pour les poursuivants. L’élastique va se tirer par devant et les écarts se creuser.
Je regarde aussi ce qu’il se passe derrière. Je suis agréablement surpris par Alan Roura qui fait une très belle course avec un IMOCA plus ancien. Je suis aussi avec attention mon ami Boris Herrmann qui a eu du mal à traverser le Talweg mais qui semble aller assez vite. Bientôt, il pourra profiter de conditions plus favorables à son foiler.
J’ai été très déçu quand j’ai appris le démâtage d’Isabelle Joschke. Je vois aussi que Romain fait demi-tour. Comme tout le monde, j’aurais aimé voir Charal jusqu’au bout. Mais je ne suis pas vraiment surpris dans le sens où cet IMOCA a été mis à l’eau très récemment. La course au large est un sport mécanique et les bateaux neufs nécessitent beaucoup de mise au point. Je reste convaincu qu’en ayant lancé son bateau un an avant tous les autres IMOCA neufs, Jérémie Beyou aura à terme un gros avantage au niveau de la fiabilité. »
Le palmarès de Thomas Ruyant en IMOCA
. Participation au Vendée Globe 2016-2017
. 2 participations à la Transat Jacques Vabre (4eme 2015, 4eme 2017)
. 4eme de la Rolex Fastnet Race 2015
. Participation à la Transat Saint-Barth/Port-La-Forêt
Crédit Photo : Thierry Martinez/Sea & Co
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