Yoann Richomme (Skipper Macif 2014), vainqueur d’une Solitaire Bompard Le Figaro de « dingue »
Quelle course ! De l’avis des 39 marins engagés sur cette 47e édition de La Solitaire Bompard Le Figaro, elle sera mémorable. Mémorable par ses quatre étapes compliquées en terme de parcours (1427 milles au total), mémorable par sa météo des plus variées, capricieuse et des plus difficiles à appréhender, mémorable par le talent qu’ont démontré une poignée de marins indécrottables aux avant-postes, les Richomme, Dalin, Tabarly, Chabagny, Lunven, Loison, Douguet.
Partie de Deauville le dimanche 19 juin, elle est arrivée à La Rochelle après s’être amarrée à Cowes-Île de Wight et Paimpol-Lézardrieux. Pour la gagner, il fallait être expérimenté, rapide, inspiré, dur au mal et… insomniaque ! Yoann Richomme, confiant, en pleine forme, a su réunir tous ces talents sur sa 7e participation à la plus dures des courses au large en solitaire à armes égales. Il arrache la victoire 5 mn et 5 s seulement devant Charlie Dalin.
Sur cette course au temps, il ne suffit pas de gagner une étape, si belle soit elle, pour terminer grand vainqueur. Gildas Morvan (Cercle Vert) le sait mieux que quiconque : 21 participations à La Solitaire Bompard Le Figaro, 6 victoires d’étape (dont cette dernière étape de 130 milles) et pas de sacre. N’empêche, Gildas termine à La Rochelle en beauté concluant ainsi une course en demie teinte depuis Deauville.
La régularité est le secret pour arracher le graal sur La Solitaire Bompard Le Figaro. Vainqueur de la deuxième étape entre Cowes et Paimpol-Lézardrieux, Yoann Richomme, 33 ans, a su rester dans le bon tempo, limitant les écarts en temps, donnant le rythme à chaque début de course, assoiffant ses rivaux en les poussant dans leurs retranchements. On peut dire qu’il a participé à ce que cette Solitaire Bompard Le Figaro soit dingue… Avec Charlie Dalin, le duel aux couteaux a commencé dès le départ de Deauville pour se terminer à La Rochelle, où le chrono fut lancé dès lors que Charlie avait passé la ligne. 14 minutes les séparaient au départ de la dernière étape de 130 milles (aller et retour La Rochelle avec contournement de l’île d’Yeu), il n’en restait plus que 5 mn et 5 s à l’arrivée…
Will Harris (Artemis 77), graine de champion
Deux jeunes premiers au profil bien différents ont bataillé pour remporter la première place au classement Bénéteau des bizuths : le Britannique Will Harris, diablement intelligent et efficace, et le Méditerranéen Pierre Quiroga (Skipper Espoir CEM), doué et joueur. 12 minutes les séparaient au départ du sprint final autour de l’île d’Yeu, tout était alors possible. Will Harris l’emporte au final avec quasiment le même écart (13mn). Ce que l’on retiendra d’eux également, c’est leur formidable dernière étape aux côtés des meilleurs : Will termine 8e et Pierre 10e de la dernière étape. Deux lascars qui vont sans doute crever les classements sur le circuit Figaro Bénéteau dès l’année prochaine.
Des écarts en temps monstrueux
Cette Solitaire Bompard Le Figaro a connu, dès la première étape entre Deauville et Cowes, des écarts rarement vus : 22 heures entre Erwan Tabarly (Armor Lux), le vainqueur, et la bizuth Cécile Laguette (Deauville) ! Le tricotage le long des côtes anglaises, les renverses de courant, les mistoufles ont eu raison des moins expérimentés qui n’ont bien souvent jamais pu rattraper le bon wagon. La deuxième étape s’est déroulée à peu de choses près avec les mêmes paramètres à gérer, mais avec les cailloux de Bretagne Nord en plus ! Que dire de la troisième étape, dont le passage dans l’ouest de Ouessant et la « grosse pétole » du golfe de Gascogne ont encore créé des passages à niveau. Durant ces quatre actes, il y a eu du jeu tout du long, des surprises, des bons coups, des ratés, des gagnants, des perdants… bref, des histoires de dingues à raconter.
Ils ont dit à l’arrivée finale à La Rochelle
Gildas Morvan (Cercle Vert) – vainqueur de la 4ème étape :
« C’est vrai que tout s’est bien enchaîné, j’arrive à bien sortir après le départ et je fais un bon bord de près, tout se passe bien, je suis en tête et après j’arrive à bien naviguer et me concentrer sur les manœuvres. Le choix des bords s’est bien enchaîné. J’avais toute la flotte derrière et j’avais fait les bons choix. C’est bien parce que je passe toutes les bouées en tête : Radio France, Suzuki… C’est génial, personne n’a réussi à me doubler, je suis assez fier !.
On savait qu’il y avait une nuit d’escale et qu’on repartait pour une petite étape. Ce n’était que pour une nuit, donc j’ai pu faire une petite sieste à la barre 2 minutes et après il fallait se concentrer pour tenir les adversaires à distance. J’étais un peu déçu de mes 3 étapes, la deuxième n’était pas mal, j’aurais pu gagner mais je la perds. Puis la première,, je suis 20ème, la troisième, je suis 20ème, c’est dur à digérer. La seule solution, c’était de jouer tout sur la dernière et de mettre quitte ou double, d’être agressif sur le départ, jouer les bons bords pour aller chercher cette victoire qui me met donc du baume au cœur ! C’est sûr que cela n’est pas un bon bilan pour moi au classement général. Je suis passé à la trappe sur deux étapes, donc oui, peut-être que je vais devoir revenir, ce n’est pas exclu ! »
Yoann Richomme (Skipper Macif 2014), vainqueur de La 47e Solitaire Bompard Le Figaro :
« On s’est battu et Charlie a fait une super régate. Moi, j’étais un peu dedans, certainement le stress et l’émotion de pouvoir gagner cette Solitaire, puis j’ai réussi à me remobiliser jusqu’à la fin et à sauver la victoire de quelques minutes. C’est beaucoup d’émotions, je suis venu dans l’état d’esprit de gagner La Solitaire Bompard Le Figaro. Quand je repense à tout l’historique de la course, ça me fait des frissons. Je suis super heureux, c’est 7 ans de travail qui trouvent un accomplissement et je suis aussi très heureux pour la Macif à qui nous offrons les 2 premières places, c’est beaucoup d’émotions et beaucoup de plaisir ! Charlie, c’est un super compétiteur, c’est lui qui a poussé le niveau dans la flotte et il a beaucoup travaillé, je suis sûr que ça sera son année l’année prochaine. J’avais un petit matelas d’avance de 14 minutes, mais cela n’est pas beaucoup. L’étape de Paimpol était donc l’étape décisive, car c’est celle où j’arrive à mettre du temps et donc à compenser mes erreurs sur les troisième et quatrième étapes. Les seules fois où j’ai mal joué à l’ Île de Ré, j’ai arrêté de faire du marquage débile et j’ai fait les coups que je sentais bien. J’étais venu sur La Solitaire pour la gagner et il n’y avait pas d’autres solutions, j’ai pu faire mes coups et naviguer à ma façon et c’était très plaisant. C’est un rêve d’accrocher son nom au palmarès de cette course. J’ai plein d’idoles qui l’ont fait, notamment Nicolas Lunven dont j’ai été préparateur et qui m’avait impressionné. Ça a été beaucoup de travail, de progrès, de moments de doutes en 7 ans avec les partenaires qui m’ont fait confiance même les années creuses. »
Charlie Dalin (Skipper Macif 2015), deuxième de La 47e Solitaire Bompard Le Figaro :
« C’était vraiment plus difficile que prévu. Yoann a fait des coups sur le papier qui étaient un peu risqués et qui sont passés. Je pense que je sais prendre les opportunités quand elles se présentent, mais ma marque de fabrique, ce ne sont pas les paris … C’est pour ça aussi que je fais trois podiums en trois éditions. »
Le Film de la course
Etape 1 : Tricotage à l’anglaise et échappée belle
Partis le dimanche 19 juin de Deauville à 13h02 précisément, 39 solitaires s’élancent pour une première étape jusqu’à Cowes, île de Wight, en passant par le phare de Wolf Rock. 510 milles à parcourir entre une traversée de la Manche, et un aller et retour le long des falaises, baies et pointes anglaises. 510 milles dans une météo ultra variée et un courant diabolique. Dès la première nuit, les marins sont cueillis par un front générant 30 à 35 nœuds de vent et de jolis talus à vous donner le mal de mer… Le bizuth Aymeric Decroocq (Bretagne – CMB Espoir) en fait les frais : il démâte au beau milieu de la nuit juste après la marque obligatoire Owers, dans l’Est de l’île de Wight. Quelques milles plus tard, Tolga Pamir (Renoval/Un jour Un homme Un arbre) déclare son abandon à la direction de course pour causes de multiples soucis techniques. Pendant ce temps là, Charlie Dalin (Skipper Macif 2015) mène la meute à un train d’enfer. Derrière, les Richomme, Lunven, Chabagny Douguet, Tabarly sont aux abois. Le tricotage à mailles fines et les renverses de courant créent d’emblée des écarts, la flotte s’étire, l’élastique se tend, les derniers prennent cher. Au jeu des placements tactiques dans la pétole, Yoann Richomme se montre le plus fort et double Wolf Rock en pôle positon devant Charlie Dalin et Nicolas Lunven (Generali). Le retour par le même chemin toujours au près entre courants, pointes et baies continue de générer des écarts et des coups fourrés. A Start Point, dans un brouillard à couper au couteau, Tabarly (Armor Lux) et Richomme filent à l’anglaise avec une veine de vent, laissant leurs camarades englués et… vexés. Sur la dernière ligne droite de cette très longue étape (raccourcie à Fairways par manque de vent) se déroule un incroyable duel qu’Erwan Tabarly remporte avec brio. Une première étape cruelle qui met d’emblée hors jeu certains favoris : Xavier Macaire (Chemins d’Océans), Martin Le Pape (Bellocq Paysages), Sébastien Simon (Bretagne-CMB performance), Anthony Marchand (Ovimpex-Secours Populaire), Alan Roberts (Alan Roberts Racing) et Gildas Morvan (Cercle Vert) trop loin des premiers sentent déjà s’éloigner le souffle de la victoire au général… Sur cette première étape, deux jeunes navigateurs font des éclats : Pierre Quiroga (Skipper Espoir CEM), premier au classement Bénéteau des bizuths, et Will Harris (Artemis 77) ne sont qu’à 6 mn d’écart au général provisoire. Le début d’un grand match…
Etape 2 : Au four et au moulin
« C’est une Solitaire de dingue ! » avouait Alexis Loison (Groupe Fiva) à l’arrivée à Paimpol-Lézardieux le mercredi 29 juin. Cette deuxième étape ralliant Cowes à la côte de Goëlo n’a pas été plus simple que la première, voire bien plus rugueuse. Si les 39 solitaires naviguent pour la troisième fois le long de la côte britannique, ils n’en ont pas pour autant décelé ses secrets, jouant à cache-cache avec le courant entre les pointes et les baies… Parti comme un boulet au coup de canon sur la ligne de départ devant le Royal Yacht Squadron, Gildas Morvan (Cercle Vert) affiche d’emblée son intention de claquer une victoire d’étape, faute d’une bonne place au classement général provisoire. Yoann Richomme le talonne, s’ensuit un mano a mano haletant qui durera jusqu’à Portsall. Les skippers ne cachent pas leur fatigue à l’occasion des vacations, harassés d’un vent oscillant le long de la Cornouailles et d’une traversée de la Manche rapide ne leur laissant aucun répit, le vent reprenant de la vigueur et incitant aux changements de voiles d’avant. Mais le plus dur est à venir ! Le divorce Morvan/Richomme a lieu à la pointe bretonne juste avant d’embouquer le chenal du Four. Yoann prend l’avantage, nettement, sur Nicolas Lunven et Charlie Dalin au coude à coude. Cet aller et retour dans le Four dans des conditions toniques, une mer agitée et un courant piégeux finira de mettre dans le rouge tout la flotte. Robin Elsey (Artemis 43) s’arrête sur le caillou Bozmen Orientale non loin de pointe Saint-Mathieu. Epuisé de fatigue, le Britannique s’est endormi. La dernière nuit sous spi dans des conditions de glisse idéales mais une visibilité réduite dans la boucaille, demande encore un maximum de vigilance jusqu’à la ligne d’arrivée à Lézardrieux. En patron, Yoann Richomme s’offre sa toute première victoire d’étape qui le propulse en tête du classement général provisoire 30 mn devant Charlie Dalin et 1h03 devant Erwan Tabarly. Le match annoncé entre les deux bizuths se confirme : cette fois, c’est Will Harris qui l’emporte. Au général provisoire, il devance de 27 mn Pierre Quiroga (Skipper Espoir CEM).
3ème étape : Les écarts se resserrent
Paimpol-La Rochelle, c’est l’étape de toutes les promesses. En finir avec la Manche et ses courants sélectifs d’abord ; trouver enfin le soleil et la chaleur en mettant du Sud dans sa route ensuite. Et puis ce tour de Bretagne à rallonge qui fait descendre les concurrents jusqu’en Gironde pour virer BXA, est la dernière chance de réduire les écarts conséquents au général. Au départ, Yoann Richomme a tout de même une demi-heure d’avance sur Charlie Dalin et plus d’une heure sur Erwan Tabarly. En arrière de la cinquième place (Gedimat à 1h48), personne ne peut plus jouer la gagne.
Sportive, l’entame de la course mène à Ouessant dans une mer bien formée au louvoyage. Ca tape tellement cette première nuit que Xavier Macaire (Chemins d’Océans) informe la direction de course que son support d’extincteur s’est arraché ! Yoann Richomme confirme sa maîtrise dans ces conditions, Charlie Dalin revient tout en vitesse et en placement, mais au large de Portsall, c’est Thierry Chabagny (Gedimat) qui prend les commandes. Impérial toute l’Iroise, il impose son rythme et passe Ouessant à midi avec la tête de flotte, à l’étale avec encore du vent. Derrière, la porte se referme. Par coefficient de 90 et avec le retour des hautes pressions, le passage à niveau est sévère : la nuit suivante, la flotte s’étire sur près de 50 milles ! Mais la dorsale négociée au large de la Loire redistribue les cartes au delà des espérances de certains. Mêlée à des grains orageux, elle permet notamment à Xavier Macaire de remonter dix places en une heure ! A 50 milles de BXA, la flotte repart dans du portant désormais établi. A BXA, le skipper de Chemins d’Océans, négocie bien le louvoyage final sur un plan d’eau cisaillé où il ne fait pas bon rester trop longtemps sur les extérieurs. Charlie Dalin en profite pour lâcher son homologue. C’est Xavier Macaire qui franchit le premier la ligne, 2 minutes 30 devant Dalin. Il lève les bras, savoure la vitesse retrouvée, mais concède sa première place après jury, son extincteur déplombé lui coutant 8 minutes de pénalité. Devant, la course est relancée puisque Charlie a comblé la moitié de son retard au général sur Yoann. Au classement Bénéteau des Bizuths, ce sera un match assez semblable pour le sprint final entre Will Harris et Pierre Quiroga qui remporte ici sa deuxième étape sur La Solitaire Bompard Le Figaro.
4ème étape. Un final à l’arraché
Qui de Yoann Richomme ou Charlie Dalin remportera la 47ème Solitaire Bompard Le Figaro ? La question est sur toutes les lèvres dans le bassin des chalutiers pendant les 24 heures de repos. Pit-stop et nouveau format d’étape, La Solitaire innove cette année avec cet aller-retour La Rochelle-La Rochelle via l’île d’Yeu à laisser à bâbord, 130 milles seulement. Les organismes sont usés par 1400 milles de régate au couteau mais le soleil estival enfin installé sur l’Atlantique revigore les marins. Au départ mercredi soir, il y a ceux qui jouent leur place au général et les autres qui n’ont plus rien à perdre et veulent terminer la tête haute. Pas étonnant donc que Jean Coadou soit obligé de rappeler toute la flotte sur le premier départ ! Au second, c’est Gildas Morvan qui brûle la politesse à ses camarades, tire les meilleurs bords du long parcours côtier et aborde le pertuis breton en tête. Un peu derrière, Nicolas Lunven (Generali) lui emboîte le pas et comme par hasard, Yoann Richomme se place juste devant Charlie Dalin pour un mano a mano qui va durer plus de 20 heures. Le spectacle du coucher de soleil sur les bateaux en file indienne sous le pont de l’île de Ré restera à coup sûr une des belles images de cette 47ème édition. Toute la nuit, la flotte emmenée par Gildas Morvan file au largue serré sur mer plate et au petit matin, en envoyant son spi, Yoann Richomme sent que l’écoute est bien dure. Fatigué après une énième nuit blanche, le skipper a juste oublié de clipser le mousqueton sur le point d’écoute de la voile qui flotte dans le vent. Charlie Dalin profite de ce moment de confusion pour déboiter et inverse les rôles. La météo prévoit une transition en fin de matinée avant l’établissement de la brise thermique. Dalin peut-il s’échapper ? 14 minutes d’écart, finalement, ce n’est rien dans ces conditions estivales. Toute la journée, le Havrais creuse son avance sur Yoann Richomme mais le Skipper Macif 2014 ne craque pas. Quant à la brise, les cieux ont décidé qu’elle ne ferait pas d’entourloupe.
En tête de flotte, Gildas Morvan tient bon sous les assauts de Nicolas Lunven. Il remporte en fin d’après-midi sa 6ème victoire d’étape en vingt et une participations, sauvant ainsi sa Solitaire Bompard Le Figaro. Nicolas Lunven suit et confirme sa jolie troisième place sur le podium après deux ans d’absence. Quand à Charlie Dalin, il jette de dépit sa manivelle de winch au passage de la ligne, sachant son avance trop modeste. Il a comblé 10 minutes de son retard. Pour 5 petites minutes au général, c’est donc Yoann Richomme qui entre dans la légende de La Solitaire. Sur cette édition 2016, il aura tour à tour offert à son sponsor, présent sur le circuit depuis 9 ans, sa première victoire d’étape et le général. Sans commentaire !
Chez les Bizuths, Will Harris n’oublie pas de marquer Pierre Quiroga et c’est donc le benjamin de cette édition qui, à 22 ans, inscrit son nom au palmarès du classement Bénéteau des Bizuths. Clap de fin.
Crédit Photo : A.Courcoux
Tags sur NauticNews : Solitaire Bompard Le Figaro, Solitaire du Figaro, Trophée Eric Bompard
– CP –
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