Route du Rhum : Dans des mondes différents…
Entre les leaders bientôt à Madère et les lanternes rouges, toujours en Manche, la flotte s’étire sur 900 milles. Les 75 concurrents de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe ne naviguent plus dans le même système météo. Toujours emmenés par le Maxi Banque Populaire VII, les Ultimes vont commencer à glisser sur la bordure sud-est de l’anticyclone des Açores. Et pendant que les grands multicoques s’ébroueront au portant sous le soleil, les Imoca, mais surtout les Class40 et les Class Rhum, continueront à subir les systèmes dépressionnaires de l’Atlantique. Demain soir, les premiers navigueront en tenue légère. Les derniers, eux, garderont plus longtemps les bottes et le ciré…
La litanie des dégâts, avaries et arrêts techniques est en train de se calmer. La majorité des marins a passé le « crash test », même si quelques abandons et fortunes de mer sont encore à déplorer : celui d’un des grands favoris de la classe Imoca Vincent Riou (cloison de chariot de grand-voile cassée) mais aussi le naufrage du Multi50 Olmix de Pierre Antoine, lequel a dû être hélitreuillé.
En ce deuxième jour de course, les marins sont groggys. La plupart commence à peine à pouvoir se reposer. Ils ont aussi fait le bilan des innombrables bricoles cassées à bord et gèrent l’urgence en espérant pouvoir réparer seuls dans des conditions plus maniables. Il reste encore du pain sur la planche. Au large du golfe de Gascogne et du cap Finisterre, les conditions de navigation sont toujours exigeantes sous les lignes de grains orageux. Ce n’est donc pas le moment de se relâcher. Pour les Ultimes, en revanche, il est bientôt temps de relâcher les écoutes et de libérer un peu de toile…
Ultimes : Accélération vers le soleil
« Ça sent le bout du tunnel » « Le plus gros est derrière nous » « On est sorti des grosses bourrasques»… Le soleil est revenu et le temps s’améliore pour les Ultimes qui filent au portant, 190 milles dans le nord de Madère. La mer se calme et le vent de nord-ouest devient plus régulier. De quoi engranger un peu de sommeil et se requinquer pour renvoyer de la toile. Les vitesses ont pris un cran cet après-midi avec des pointes qui dépassent régulièrement les 30 nœuds. Loïck Peyron mène toujours le bal et a même tendance à creuser l’écart : plus de 60 milles sur Spindrift 2 et Edmond de Rothschild, décalé dans l’ouest. Toute la troupe va contourner l’anticyclone des Açores par le sud avant de trouver les alizés. « On attaque la grande chistera anticyclonique » nous dit Peyron. C’est parti pour une course de vitesse et de glisse de 2800 milles en direction du soleil.
Multi50 : Un naufrage, deux stratégies
Nouvelle fortune de mer aujourd’hui avec l’hélitreuillage de Pierre Antoine dans le golfe de Gascogne. La foudre s’est abattue sur le mât de son trimaran Olmix, trouant la coque et mettant le feu aux câbles électriques ! Grosse frayeur. Le marin, sain et sauf, a été récupéré par un hélicoptère de la Marine espagnole. Son bateau est en perdition. Il ne reste donc plus que 5 Multi50 en course. Mais le match entre le trio de tête est passionnant. Les deux leaders Actual et FenêtréA-Cardinal plongent au sud dans le sillage des Ultimes, prenant le risque d’être ralentis dans l’anticyclone. De son côté, Lalou Roucayrol (Arkema Région Aquitaine) prend la tangente à l’ouest, en compagnie des Imoca. Plus proche de la route directe, il a pris ce matin la tête du classement.
Imoca : Abandon de PRB, Macif creuse l’écart
Menacée par l’anticyclone des Açores, la flotte des Imoca a choisi de mettre de l’ouest dans sa route pour éviter d’être encalminée le long des côtes portugaises. Une option parfaitement anticipée par Macif, Maître Coq et Safran depuis leur virement de bord à Ouessant. Les conditions de navigation sont encore difficiles et de nombreux soucis techniques perturbent un repos que les marins auraient bien mérité. Pour autant ; les grands monocoques, poussés par un solide vent de nord-ouest, alignent de belles vitesses à plus de 20 nœuds. François Gabart (Macif), en tête depuis la bouée du cap Fréhel, continue distancer ses poursuivants relégués à plus de 40 milles.
Class40 : comme un air de Figaro en mer hostile
A la demande de la Direction de Course, le leader Sébastien Rogues (GDF SUEZ) a dû se dérouter en fin de matinée pour rejoindre Pierre Antoine dont le Multi50 était en train de couler. Du coup, Thibault Vauchel Camus (Solidaires en Peloton), déjà bien positionné, a pris la main à l’approche du cap Finisterre où les conditions sont encore difficiles (vent fort, grains, mer formée). Vingt milles derrière le nouveau leader, la flotte est divisée en deux groupes. Le premier peloton, de Kito de Pavant (Otio-Bastide Medical jusqu’à Halvard Mabire (Campagne 2 France) ferraille comme en Figaro Bénéteau dans un périmètre d’une quarantaine de milles. Le second regroupe essentiellement des marins ayant fait une escale technique pour réparer les avaries de la première nuit.
Classe Rhum : Bifurcation atlantique
Les conditions météorologiques sont nettement moins dures en ce deuxième jour et les solitaires qui ont fait une escale technique en ont profité pour reprendre le fil de la course. A l’image de Patrick Morvan (Ortis) reparti de Camaret au lever du jour, tout comme Pierrick Tollemer (Ensemble pour entreprendre) de Brest, Bob Escoffier (Groupe Guisnel) et Benjamin Hardouin (Krit’R V) de Roscoff. Julien Mabit (Komilfo), en stand by à l’Aber Wrac’h, a finalement décidé d’abandonner. La flotte s’est scindée en deux groupes avec le leader italien Andrea Mura (Vento di Sardegna) qui suit les monocoques IMOCA et Anne Caseneuve (Aneo) sur la trace des Multi50… Une nouvelle perturbation doit arriver mercredi soir en apportant des vents de secteur Sud-Ouest pendant 24h : les multicoques ont donc intérêt à piquer rapidement au Sud pour ne pas ralentir, les monocoques peuvent gagner dans l’Ouest pour toucher la bascule favorable les premiers…
Ils ont dit :
Loïck Peyron, Ultime, Maxi Solo Banque Populaire VII : « On a enfin du très joli soleil, la température se réchauffe la mer s’aplati. Je viens de larguer un petit ris. On ne pourrait pas imaginer meilleur monde pour l’instant. Ça secoue encore pas mal, on a encore une trentaine de nœuds mais c’est nettement mieux que les 48 dernières heures. Je me porte bien. Il y a plus malheureux que moi dans la flotte je pense notamment à Thomas. Je suis un peu fatigué mais c’est normal. J’ai enfin réussi à dormir quelques minutes ce matin. Nous avons fait un joli travail avec Marcel Van Triest et Armel Le Cléac’h (ses routeurs). Parce que sur l’eau, c’était un peu dantesque ! Dès le départ on a tout eu, des mauvaises surprises, des gros coups de stress mais avec une bonne gestion et une bonne anticipation et une vision maximum sur le chemin et les manœuvres à faire. Je me suis un peu blessé une côte en tombant. Il y avait des mouvements vraiment extrêmes, une mer atroce, pas drôle du tout. Maintenant, on est en train de faire le début de la grande louche, la grande chistera anticyclonique. On va passer à côté de Madère. Tout doucement, le vent va tourner à droite en mollissant. Ce sera alors le choix de l’accélération vers le moins de vent ou la politique de descendre un peu plus bas. Ce sera aussi des choix de voiles : gennaker ou voiles pour naviguer plus lofé, plus rapide. Il va y avoir encore du boulot dans les têtes et dans les bras. Avec une petite guerre d’empannage dans les jours qui viennent. »
Pierre Antoine, Multi50, Olmix
« En fait, la foudre a touché le haut du mât, j’ai d’ailleurs retrouvé l’ampoule de tête de mât après parterre. Elle est passée par le mât, elle est arrivée en bas du mât. Le bateau est en bois, donc elle a fait son trou, dans le bois, dans les câbles électriques qui se sont mis à brûler. Je pensais que ce n’était que du feu. J’étais parti pour éteindre avec des extincteurs, je ne pensais pas qu’il avait un trou. Je suis descendu dans le bateau, il y avait déjà 50 cm d’eau, il commençait à plonger du nez. Après, l’eau montait, montait. J’ai retrouvé des bouts de bois qui se baladaient. Ce genre de choses, ça n’arrive jamais. C’est délirant ! Heureusement que je n’étais pas dans le bateau, vu que ça a brulé de partout. J’aurais été en face de l’ordinateur, je n’ose pas imaginer… Les écrans ont explosé, tout est parti en poussière…’
François Gabart, Imoca, Macif : « Ça va bien mais c’est loin d’être simple. Il y a beaucoup de vent depuis le départ : entre 30 et 35 nœuds et aussi pas mal de vagues. J’ai été assez surpris par l’état de la mer. Il faut se tenir dans le bateau pour ne pas voler. C’est assez sportif et cela devrait se renforcer encore dans les heures qui viennent après le passage du cap Finisterre. C’est un début de course difficile mais je me régale, je suis content d’être devant… mais je suis navré pour Vincent (Riou). Je pensais qu’on allait se tirer la bourre jusqu’au bout. Hier, j’ai eu hier un problème assez important, la galette (le petit tambour pour rouler les voiles d’avant) de J3 a explosé, ça ne m’était jamais arrivé. J’ai fait de gros vols planés sur le pont. Vers 22 heures, j’ai réussi à remettre une galette de J3 et c’est à ce moment que Jérémie (Beyou) est un peu revenu. »
Vincent Riou, Imoca, PRB, sur son abandon : « Il y a un gros gros chantier pour remettre PRB en état de route. Je pense qu’on va s’arrêter là avec beaucoup de regrets. Hier, en me déroutant à 160 milles d’ici, je savais que la Route du Rhum, pour y faire ce que je voulais, c’était terminé. Ce n’est pas raisonnable de penser repartir. On va rester ici pour le réparer, ce sera plus raisonnable. Le bateau n’aurait pas pu résister longtemps avec la cloison arrière de barre d’écoute complètement décollée. Cela aurait amené des dégâts beaucoup plus lourds rapidement. Le choix que j’ai fait hier après-midi s’avère être le bon. »
Kito de Pavant, Class40, Otio – Bastide Médical : « Les conditions sont difficiles, musclées avec une première nuit particulièrement difficile à 40 nœuds. La mer est très forte. On est un peu plus au portant à 90 degrés du vent et avec un vent moyen à 30 nœuds. Ca va vite et c’est très humide. En ce moment, cela n’est pas très confortable mais on espère que ce sera mieux demain. »
Juliette Petres, Class40, Eau et Patrimoine : « Les conditions restent très ventées en début de Golfe. La première nuit a vraiment été très, très dure. J’ai fini épuisée sous 3 ris trinquette. Le front a été très actif et on a subi derrière des averses de grêle avec du gros vent. Ma trinquette (voile d’avant triangulaire) est déchirée mais je pense pouvoir la réparer très vite. Le bateau tient bien, j’ai pu faire un petit somme mais je reste prudente. Je suis maintenant avec 2 ris direction le sud. Vivement la rotation au nord-ouest. J’ai appris pour les abandons et j’en suis très triste. Courage à toutes les équipes. »
Andrea Mura, Classe Rhum, Vento di Sardegna : « Il y a beaucoup de houle encore et je suis sensible au mal de mer… Je n’ai pas mangé grand-chose et j’ai une petite forme. Le vent était très fort, ces derniers temps ! La brise est de secteur Ouest-Sud Ouest avec 20-25 nœuds et les vagues se calment progressivement. J’ai vu que les prévisions indiquaient une rotation au Sud-Ouest prochainement, alors je préfère être dans le sillage des IMOCA, sur la trajectoire directe vers les Antilles. Nous allons donc refaire du près, contre le vent, mais je n’ai pas connu de problème technique sur le bateau. »
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– CP –
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