Thomas Coville : Les deux facteurs météorologiques qui ont motivé la décision de faire demi-tour
Thierry Briend, membre de la cellule routage du team Sodebo, revient en détails sur les analyses météorologiques qui ont poussé Thomas Coville à renoncer, jeudi après-midi, à la tentative de record autour du monde en solitaire en multicoque. Pour mémoire, le skipper de Sodebo a franchi la ligne de départ au large de Ouessant le 17 janvier dernier, soit il y a exactement deux semaines. Lorsque Thomas a choisi hier de faire demi-tour, il descendait l’Atlantique sud après avoir parcouru près de 6000 milles soit environ un quart du parcours.
Une décision difficile mais raisonnable au regard des données tangibles entre les mains de Jean-Luc Nélias, Thierry Douillard, Thierry Briend et Richard Silvani. Rappelons que cette équipe travaille ensemble au quotidien depuis plusieurs mois et s’appuie sur de multiples sources d’informations, notamment sur les statistiques de Great Circle, les prévisions de Météo France ainsi que sur les images satellites de CLS Argos qui relèvent la présence et les mouvements des glaces.
Facteur 1 : Le retard au Cap de Bonne Espérance
« Après plus de 72 heures de bataille dans les vents instables et faibles de l’anticyclone de Sainte-Hélène, Thomas entrevoyait enfin sa sortie. Jeudi matin, le retard sur Francis Joyon était de 1050 milles environ. Thomas naviguait dans le Nord d’une dépression (que l’on voit ici dans son Sud-Est) qui avançait vers l’Est à 35 nœuds. Malheureusement, juste derrière une nouvelle cellule anticyclonique prenait place.
Thomas aurait dû virer de bord dans la soirée de jeudi, afin de contourner cette haute pression vendredi et gagner vers le Sud dans des vents inférieurs à 10 nœuds. Il aurait alors fallu naviguer proche de son centre afin d’en réduire son contournement, avec tous les risques que cela comporte.
Par rapport à Francis (Joyon), l’écart aurait alors considérablement augmenté. Mais Thomas n’avait d’autre choix que de faire ce bord Sud afin de plonger vers les Quarantièmes Rugissants pour aller chercher une dépression qui l’aurait conduit jusqu’au Cap de Bonne Espérance. Un premier cap qu’il aurait franchi le mardi 4 février dans la matinée avec un retard que nous estimons à 1 600 milles soit quasiment trois jours de mer. Rappelons que lors des dernières tentatives, Thomas y était passé avec respectivement 1 jour 16 heures (en 2008) et 1 jour 22 heures de retard (en 2011). »
Ce qu’en disait Thomas hier : « Même si la fenêtre était loin d’être idéale, je me suis régalé à descendre jusqu’ici. J’étais bien dans mes basques et je me suis accompli dans cette descente qui était loin d’être acquise. »
Facteur 2 : Conditions défavorables dans l’Océan Indien
« Après le passage de Bonne Espérance, la dépression qui nous y avait amenés, devait nous passer dessus car elle était tout simplement plus rapide que nous. Ensuite, nous observions un nouvel anticyclone au niveau des îles Kerguelen. Deux solutions se présentaient à nous : soit passer au Nord, en naviguant face au vent sur une route plus lente et plus longue ce qui signifiait perdre encore du temps sur le chrono de référence, soit de passer au Sud, une trajectoire certes plus rapide et plus courte mais qui nous obligeait à s’aventurer dans une zone de glaces très dangereuse où les icebergs étaient bien présents. Concernant, l’observation des glaces nous travaillons avec CLS qui a délimité avec nous une zone « interdite » (en pointillé rose sur la carte).
Ce que Thomas rappelait hier à ce sujet : « Dans un record, il n’y a pas d’organisateur qui t’impose des limites de glaces, c’est à toi de travailler en fonction des observations. On a travaillé avec CLS Argos sur l’optimisation des zones dangereuses. Aujourd’hui, un anticyclone vient se mettre sur le Nord du plateau des Kerguelen qui nous oblige à descendre sous l’archipel et donc de rentrer bien au-delà de la zone des glaces que l’on s’était interdite jusqu’à présent. »
En conclusion, si nous voulions limiter la perte sur Francis Joyon, il n’y avait pas d’autre choix, au regard des données que nous avions, de naviguer au Sud de notre limite des glaces. C’était une grosse prise de risques qui nous aurait permis de limiter la perte de temps mais pas forcément d’en gagner !
La décision a donc été prise, jeudi, en accord avec Thomas et son partenaire Sodebo, de renoncer à cette tentative et de faire demi-tour vers La Trinité-sur-Mer. »
Et Thomas de conclure : « Le parcours était joli, la trace osée et atypique. J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec les gens qui m’entourent et qui font bloc autour de moi. Je me sens bien dans ce projet. Le plus dur, c’est de prendre la décision. Une fois qu’elle est prise, elle est prise. On va regarder devant. »
Tags sur NauticNews: Thomas Coville, Sodebo
– CP –
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