Transat Bretagne-Martinique : le podium en une journée!
Ce dimanche, à 12h48 (heure de métropole), Erwan Tabarly a été le premier à franchir la ligne d’arrivée de la Transat Bretagne-Martinique. Habitué des places d’honneur, le skipper d’Armor Lux-Comptoir de la Mer s’est ainsi offert sa première grande victoire sur le circuit Figaro Bénéteau après 20 jours et 22 heures de mer. En tête du classement depuis le 28 mars dernier, il a dominé de la tête et des épaules cette épreuve. Une épreuve dure durant laquelle il a fallu affronter deux tempêtes d’entrée de jeu, slalomer au ras des côtes africaines, descendre très au sud – quasiment jusqu’à la latitude du Cap Vert -, contenir les attaques de poids lourds de la série tels que Gildas Morvan et Fabien Delahaye et gérer une avance comme on n’en avait plus vu depuis longtemps sur une course à armes égales. C’est peu de dire que le Fouesnantais vient de frapper un grand coup !
Vous venez d’arriver, en vainqueur, à Fort-de-France. Quel est le sentiment qui domine ?
« Je suis vraiment content d’être arrivé. J’ai bataillé jusqu’au bout pour obtenir cette victoire. Je suis passé très près lors des deux précédentes éditions, en terminant 2e puis 3e, alors aujourd’hui je suis forcément très heureux d’accrocher la première place. En 2009, seules quatre minutes nous avaient séparé avec Gildas Morvan. A cette époque, on méritait autant l’un que l’autre de l’emporter mais c’est lui qui avait eu le privilège de monter sur la plus haute marche du podium. Comme la première place m’avait échappé d’un rien, je sais combien il est difficile de s’imposer une épreuve de ce calibre là. Je suis vraiment très heureux et le fait que ce soit Gildas qui finisse derrière moi me fait plaisir aussi, je dois l’avouer ! De plus, l’ovation que j’ai reçue ici, en Martinique, a été incroyable. C’était à la fois touchant et sympa de voir tous ces gens m’accueillir, me sourire, me féliciter… Ce sont des moments magiques que l’on n’imagine pas vraiment tant qu’on ne les a pas vécus. »
Vous vous imposez avec 30 milles d’avance. Sur une transat à armes égales, c’est très rare…
« C’est vrai et c’est assez surprenant. Aux Canaries, j’ai même compté jusqu’à 60 milles d’avance sur des concurrents pourtant sur la même option que moi. C’est étonnant d’avoir réussi à creuser autant dès la fin de la première semaine de course. »
Peut-on dire que votre victoire s’est jouée au large de Lisbonne, après le passage de la dépression ?
« Oui. Je pense que c’est le moment clé de ma course. J’ai passé cette dépression au bon endroit. Il y avait du vent mais moins qu’au nord où c’était la baston totale. De plus, à la sortie, j’ai eu un meilleur angle que mes concurrents plus au sud. En clair, j’ai réussi à trouver un juste milieu qui m’a permis de sortir en tête et j’ai été l’un des plus rapides à rebondir après le coup de tabac. Ce n’est pas évident de repasser en mode course après être passé en mode sécurité dans la tempête. Mes concurrents semblent être restés prudents plus longtemps que moi qui ai accéléré assez vite. Je pense que, pendant une douzaine d’heures, j’ai progressé sous spi alors qu’ils étaient toujours sous solent. Forcément, ça a fait des dégâts et je me suis fait la malle. »
Durant cette course, vous avez fait preuve d’une grande sérénité…
« Ce n’était pas la première fois que je sortais en tête au bout de la première semaine. Ça s’était déjà passé comme ça lors de la Transat AG2R LA MONDIALE l’an passé et sur cette course là, il y a deux et quatre ans. Cette fois, j’avais beaucoup d’avance et je me suis dit que la victoire ne m’échapperait pas, que ce n’était pas possible autrement. A aucun moment, j’ai envisagé une autre option que la victoire. Du coup, je me suis mis une pression importante. Importante mais nécessaire. Il était hors de question de finir 2e. Ça aurait été une trop grosse déception. »
Vous étiez en tête du classement depuis le 28 mars. Comment gère t-on cette position dans la durée ?
« Quand on est en tête avec une avance comme celle que j’avais, souvent on n’a pas le même vent que les copains derrière. Du coup, ce n’est pas facile parce qu’on est tenté de compter en permanence le nombre de milles gagnés ou perdus. Il faut arriver à se dire que l’on est devant et que si on a perdu 5 ou 6 milles dans une journée, ce n’est pas grave. C’est cependant plus simple à dire qu’à faire et les fois où Gildas (Morvan) me reprenait du terrain, je n’étais pas content du tout. »
Avez-vous eu des moments de doutes, notamment hier lorsque les écarts se sont réduits après que le vent est rentré par l’arrière ?
«Oui et non. Je me suis souvent dit que tant que la ligne n’était pas franchie, il ne fallait pas que je m’emballe. C’est vrai que quand on a autant d’avance, à 24 heures de l’arrivée, on a vite tendance à croire que c’est déjà gagné. Mais bon, rattraper c’est une chose, doubler en est une autre. »
Ce que vous retiendrez de cette course ?
« Partir de Brest pour aller en Martinique et passer au ras de l’Afrique, c’est quelque chose de franchement unique. C’était incroyable. Je retiendrai donc cette trajectoire assez atypique mais aussi les grains très violents et froids de la première semaine. Ce n’était vraiment pas simple de gérer un vent qui passait de 25 à 45 nœuds d’un coup. Je n’avais jamais vu ça auparavant et c’est lié, sans doute, au fait que l’on soit parti si tôt dans la saison. »
Peut-on donc dire que cette transat n’a pas été facile ?
« Clairement oui. Je mets cette épreuve dans la même catégorie que celle où j’ai déjà rangé l’édition 2011. La catégorie des « dures ». Il y a deux ans, elle avait été plus courte (16 jours) et les conditions un peu moins dantesques mais dans l’ensemble, on n’avait jamais eu de temps morts et ça avait été très difficile. Cette année, on a eu des conditions extrêmement violentes mais aussi des moments pour récupérer. C’était différent mais finalement tout aussi difficile. »
Vous aviez un nom, maintenant on peut dire que vous avez aussi un prénom…
« En réalité, ce qui me fait surtout plaisir aujourd’hui, c’est d’entendre dire : « Erwan Tabarly gagne des courses ». Avant, parfois j’entendais « Il ne gagnera jamais Erwan ». C’est vrai que jusqu’ici, j’étais un peu habitué aux places de deuxième. C’est donc plus important pour moi de montrer que je suis capable de m’imposer plutôt que de me dire que je me suis fait un prénom. De toutes les façons, Eric n’est comparable à personne. Mon oncle était quelqu’un hors du commun, pour qui j’avais énormément d’admiration. Je ne serai jamais son égal. Il était exceptionnel »
Ce dont vous avez envie maintenant ?
« Mon objectif, c’est d’être sur la ligne de départ du prochain Vendée Globe, en 2016. J’espère qu’après avoir montré ce que je sais faire sur cette transat, des portes vont s’ouvrir. »
Le programme à suivre ?
« Dans l’immédiat, il va être festif. Après une victoire, ce serait vraiment trop dommage de ne pas en profiter ! Je vais passer quelques jours ici, en Martinique, puis rentrer en Bretagne pour attaquer les navigations en MOD 70 avec Yann Guichard. A ses côtés, je vais participer à la Route des Princes en juin prochain. Pas de Solitaire du Figaro – Eric Bompard cachemire pour moi cette année, ce qui est presque dommage finalement. A la suite de cette victoire, j’aurais aimé voir si ça n’avait pas décoincé quelque chose. Je suis sûr qu’une victoire en amène d’autres… »
Gildas Morvan, deuxième et Fabien Delahaye troisième… à 33 minutes d’écart !
33 minutes d’écart après 21 jours de course et 4 548 de milles parcourus… La place de dauphin a été pour le moins disputée. Gildas Morvan (Cercle Vert) et Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012), au coude à coude depuis le sud du Portugal, se sont livrés à un duel sans merci au cœur d’une transatlantique aux conditions météorologiques éreintantes.
Le géant vert de Landéda a eu chaud !
Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012) s’est senti pousser des ailes, depuis le 4 avril dernier. De 25 milles, il est revenu hier soir à 3 milles du tableau arrière de Cercle Vert. De quoi faire diablement monter la pression la dernière nuit passée en mer.
Les deux solitaires ne se sont pas lâchés d’une semelle depuis la latitude du cap Saint-Vincent au Portugal, malgré les conditions rudes générées par deux grosses dépressions. Au classement, l’élastique n’a cessé de se tendre et se détendre au fil des jours passant de 15 à 40 milles, puis se resserrant définitivement à quelques milles de l’arrivée. Fabien Delahaye était à deux doigts de ne faire qu’une bouchée de son rival ultra expérimenté Gildas Morvan. Même à bout de souffle après 21 jours de navigation, les deux figaristes nous ont offert un duel palpitant. A bientôt 29 ans, Fabien affiche un palmarès à la progression fulgurante marquée, entre autres, par une place de deuxième dans la précédente édition de la Transat en solitaire à armes égales. Il fait partie de cette jeune génération de coureurs à la préparation sans faille, à la tête bien faite, à la volonté d’en découdre, au moral de champion. Pas étonnant qu’il se soit accroché au vieux briscard Gildas Morvan. Mais l’homme aux 14 transatlantiques et aux 17 participations à la Solitaire du Figaro – Eric Bompard cachemire est de loin le plus expérimenté du circuit. A 44 ans, Gildas manie son Figaro Bénéteau comme une mobylette, surtout dans la baston. Un marin pugnace au moral d’acier à qui on ne la fait pas. L’Atlantique demeure son terrain de jeu favori, il l’a prouvé en remportant la Transat AG2R – LA MONDIALE en 2012 aux côtés de Charlie Dalin. Sacré Champion de France Elite de Course au large en Solitaire à deux reprises (2008 et 2009), Gildas Morvan fait toujours figure « d’homme à abattre » quelle que soit l’épreuve du circuit Figaro Bénéteau. Sur cette Transat Bretagne – Martinique, il s’est battu comme un enragé pour cette place de dauphin. « Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces… ».
Les premiers mots de Gildas Morvan (Cercle Vert):
« Cette transat, ce sont vraiment de bons souvenirs. Les deux dépressions, c’était dur, on a pris cher. J’ai même mis mon tourmentin et deux ris, c’est la première fois. Après, on est descendu plein sud, c’était magique, fabuleux, il y avait des poissons partout, des centaines d’oiseaux, des pêcheurs, un 4×4 sur la route qui me suivait, des grandes dunes, des villages… On a fait une super balade. C’était un grand tour, c’est rare de passer entre Les Canaries et le Cap Vert. Mais on a toujours eu du vent. Erwan avait 40 milles d’avance au début des alizés, et je me suis dit que ça n’allait pas être évident de le rattraper. Les alizés ont été durs, on a eu 48 heures de baston, je me suis fait coucher avec le petit spi, coucher à 90° ! Les grains duraient longtemps, une demie heure parfois…
J’ai halluciné hier soir, à un moment Fabien avait 10 milles de retard, donc j’étais plutôt confiant. Et à un moment, je vois une baleine morte, et puis je lève les yeux et là je vois une tâche verte, et je me dis c’est pas possible ! Fabien est à 3 milles derrière ! En fait, on a eu moins de vent, et lui avait du vent, il avançait trois milles plus vite qu’Erwan pendant une heure ou deux, c’était dingue ! Tout à coup, le téléphone sonne, et là j’entends « Salut, c’est Fabien, ça va ? » Dans mon for intérieur, je me suis dit mon coco tu ne passeras pas comme ça, je n’ai pas dormi de la nuit, j’ai été au taquet à fond du début à la fin, à la barre tout le temps pour ne pas le laisser passer. J’aurais eu un peu pitié de perdre ma place quand même ! »
Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012) :
» C’est la première fois où j’ai du choisir des moments de course et des moments de navigation en bon marin, pour jouer la sécurité. On met parfois le jeu de côté pour préserver le bateau sur le long terme. Erwan a fait une super course, Gildas a été plutôt conservateur comme moi, comme de faire le tour de la situation délicate. Erwan a régné en patron sur cette Transat, et au final je suis content de moi sur cette Transat, 3e c’est top ! C’était beau les côtes africaines, je trouve ça génial, les falaises de sable, le coucher de soleil, c’est magnifique. Sur la prochaine Transat AG2R – LA MONDIALE, si on nous enlève le point GPS là haut, on pourra peut-être le refaire… J’ai surveillé tout le temps Anthony Marchand, il fait une super Transat, mais j’avais à cœur de rattraper Gildas. Alors, j’ai joué des petits coups. Hier soir, il était 3 milles devant moi à vue, c’était top, mais après c’était tout droit et Gildas, il est bon au largue serré, c’est sa spécialité. Je n’étais pas le plus rapide cette nuit, j’avais peur de casser dans les grains, et de me faire rattraper par Anthony. La fatigue, il y en a mais je ne pense pas être le plus fatigué de la flotte, j’ai bien géré mon sommeil. »
Crédit Photo: Alexis Courcoux
Tags sur NauticNews: Transat Bretagne-Martinique, Erwan Tabarly, Gildas Morvan, Fabien Delahaye
– CP –
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