VG2020 : deux mondes s’opposent
D’un côté la moitié de la flotte, au large de l’Argentine, engagée dans la bataille de l’Atlantique. De l’autre les marins embringués dans les fronts successifs et actifs du Pacifique. De part et d’autre du continent sud-américain, deux mondes s’opposent. Et c’est le dernier grand cap du Vendée Globe qui fait office de ligne de démarcation. Romain Attanasio sera le prochain à passer cette frontière jeudi matin.
Le Cap Horn n’est pas seulement l’accomplissement d’un rêve, comme celui formulé il y a 25 ans par Armel Tripon avec trois de ses potes – réalisé à 9h01 (HF) avec en prime un passage tout près du cailloux -, c’est une véritable frontière psychologique et météorologique.
Dans le Sud-Est du point Nemo, un quatuor se fait malmener depuis trois jours par une ‘belle’ dépression australe : Medallia, La Fabrique, La Mie Câline-Artisans Artipôle et Charal se coltinent 45 nœuds de vent et des creux de plus de 6 mètres. Une dépression qui occupe également leurs poursuivants Time for Oceans, One Planet One Ocean et DMG Mori – Global One qui se sont déjà fait doubler par le front et dont la position septentrionale les préserve du plus gros. « La grande houle du Pacifique, je ne sais pas qui a inventé cette expression, parce que moi j’ai jamais vu ça en trois tours du monde… » reconnaît Jérémie Beyou (18e).
En tête de ce groupe, sur un des bateaux les plus anciens de la flotte, la révélation de ce Vendée Globe Pip Hare, se bat comme une lionne pour préserver sa 15e place, malgré des aériens hors service, un problème qui l’empêche d’utiliser normalement son pilote automatique (elle est mode cap et non plus en mode vent). Contactée ce matin en visio, la navigatrice Britannique a temporairement perdu le grand sourire dont elle ne se sépare généralement jamais : « je n’ai jamais poussé aussi loin. Je suis fatiguée. Je savais que ça allait être difficile mais pour la première fois de la course, je me suis fixée un waypoint (point virtuel) : la sortie des mers du Sud ».
« Faut-il se faire mal pour apprécier quand c’est bien ? » …
…. se demandait Jean Le Cam ce matin en fredonnant une chanson de Johnny Hallyday (encore lui !). Faut-il en baver pour apprécier la douceur des choses à leur juste valeur ? Faut-il des expériences paroxystiques pour se sentir en vie ?
Comme Jean Le Cam, les solitaires qui ferraillent en Atlantique Sud savourent le calme et la volupté retrouvés, sur le chemin du retour. « Le soleil, en ce moment, me réchauffe le cœur » se réjouit Benjamin Dutreux (6e) qui doit pourtant remonter dans son mât afin de remettre en état de marche son J2. « Que c’est bon d’être là ! » s’exclame à son tour Maxime Sorel (10e), passé si proche des îles Falkland, qu’il a pu humer des odeurs oubliées, celles de la terre.
Toutefois, il n’est pas question de se laisser bercer par la quiétude (relative) de ces conditions de navigation. « Je me gratte pas mal la tête, poursuit Sorel. Je viens de prendre mes fichiers météo et le routage me propose trois routes différentes ».
Du remue-méninge dans les têtes et du remue-ménage au classement
Le/La coupable ? Une situation météo complexe jusqu’au large du Brésil, à commencer par cet anticyclone mouvant au Nord des îles Falkland.
Pour l’instant, Yannick Bestaven est le seul à voir réussi à passer au Nord de ces hautes pressions. Il ne devrait pas tarder à accélérer dans le nouveau flux de d’Est-Sud-Est, un vent qui sera bientôt renforcé par l’arrivée d’une dépression.
Derrière Maître CoQ IV qui a accru son avance (245 milles), rien ne va plus de la 2e à la 4e place. Charlie Dalin, fortement ralenti à proximité du centre de l’anticyclone – 2,5 nœuds cet après-midi ! – est en train de se faire rattraper par… Damien Seguin qui déloge Thomas Ruyant de sa troisième place au pointage de la mi-journée.
Un classement à observer avec prudence car LinkedOut et Groupe APICIL sont très éloignés l’un de l’autre en longitude. Le premier, à l’Ouest de l’anticyclone, le second à l’Est.
On trouvait déjà la régate intense, plus intense qu’elle ne l’a jamais été sur un Vendée Globe à ce stade du parcours. Cette remontée de l’Atlantique Sud va encore ajouter une dose de suspense car la situation – à mesure que l’anticyclone se décalera à l’Est – sera plus favorable aux poursuivants. De Burton (5e) à Herrmann (11e) dont la grand-voile est désormais réparée, une occasion se présente de pouvoir recoller à la tête de flotte.
Ils ont dit
Benjamin Dutreux, OMIA – Water Family
Je vais devoir monter au mât. Il faut que je refasse tous les lashings, que je mette la voile sur le pont, que je me mette vent arrière… Je vais perdre pas mal de temps. C’est un bon challenge la montée au mât. C’est bien stressant, tu ne sais jamais trop comment ça va se passer. J’attends d’avoir du vent plus mou en fin de journée. Petit à petit, je suis au près et j’ai de plus en plus besoin de mon J2. Ce sera plus cool que ma première montée normalement. Je n’oublie pas de prévenir la direction de course, je préviens aussi mon frère, mon boat captain… J’ai toute une liste !
J’essaye de garder une position un peu plus Ouest pour pouvoir me dégager de la bulle. Je ne sais pas trop ce que ça peut donner, on verra bien. Ce qui est sûr c’est que ce ceux de derrière vont encore recoller. Devant, ce sont des bateaux qui vont plus vite et dans ces conditions, c’est presque deux fois plus vite. Ce sont des conditions pour les foilers. Mais on n’a pas dit notre dernier mot les dérives droites!
Armel Tripon, L’Occitane en Provence
Le passage du Cap Horn était extraordinaire. Il faisait nuit, j’étais dans le bateau, je me faisais un café et quand le jour a commencé à se lever, le cap Horn a surgi devant moi avec le phare, le caillou… C’était incroyable, c’était dingue, magnifique, plein d’émotions ! Je suis passé à 4 milles. La pointe est assez haute, je dirais 150, 200 mètres de haut. Je l’ai très très bien vu.
Ça remue beaucoup de choses, c’était vraiment un beau moment. Il n’y avait pas beaucoup de vent alors j’ai pu en profiter. C’était une joie énorme, je n’arrêtais pas de rire, c’est un rêve que j’ai depuis 25 ans avec deux potes. Il y en a un qui est parti malheureusement. Et l’autre pote, on y retournera peut-être ensemble !
Hier soir en arrivant en approche la mer s’était calmée, le vent aussi. On sortait de 3, 4 jours un peu durs. On était rentré dans le sud avec des albatros, j’en suis aussi sorti avec eux. C’était une belle image.
Clément Giraud, Compagnie du lit – Jiliti
Je n’ai pas la sensation de faire le tour du globe, j’espère qu’au Horn ça me fera quelque chose ! Je ne réalise pas du tout, c’est bizarre. Je prends les choses les unes après les autres. Les derniers bateaux que j’ai vus, à part les cargos, c’est Ari Huusela et Sébastien Destremau juste avant le Pot au Noir. Depuis, je n’ai vu, ni terre ni bateau. Effectivement, en tournant le Horn, on revient d’une autre planète, mais je suis dans ma course, dans mon bateau, à écouter, à resserrer, desserrer, à faire gaffe… Du coup, les jours passent, les jours passent, les jours passent.
Thomas Ruyant, LinkedOut
Après le passage du Cap Horn, il y avait deux choix de route possibles. Une route plus directe vers le Nord avec un angle plus fermé, ou une route VMG avec quelques empannages à placer pour se rapprocher de l’anticyclone. Je ne sentais pas trop la route Est vu ma position. Les deux choix de route se valent, je suis un peu joueur de temps en temps, et je suis en mode chasseur. Des occasions et des choix d’options, il n’y en aura plus beaucoup après. C’est une route finalement assez peu risquée qui me permettait de faire quelque chose de différent pour essayer de recoller, même si j’ai peu d’espoir de recoller franchement sur Yannick. Je peux revenir sur Charlie. J’essaye de trouver mon chemin et de me rapprocher des deux premiers.
Il se passe beaucoup de choses en Atlantique Sud : les dépressions qui se forment, des bulles anticycloniques, ce n’est pas fluide, mais ça ouvre le jeu sur cette remontée.
CLASSEMENT à 15:00 (heure française)
- Yannick Bestaven, Maître CoQ IV, à 5 946,69 milles de l’arrivée
- Charlie Dalin, Apivia, à 245,85 milles du leader
- Damien Seguin, Groupe APICIL, à 268,37 milles du leader
- Thomas Ruyant, LinkedOut, à 279,39 milles du leader
- Louis Burton, Bureau Vallée 2, à 398,83 milles du leader
Crédit Photo : A. Tripon
Tags sur NauticNews : Vendée Globe, VG2020
– CP –
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