VG2020 : un Cap Horn désiré
Derrière les cinq premiers cap-horniers (Bestaven, Dalin, Ruyant, Seguin et Dutreux) de ce 9e Vendée Globe, 6 IMOCA groupés en 150 milles s’apprêtent à en finir avec les mers du Sud. A 15h52, Benjamin Dutreux a ouvert le bal des passages de la soirée et de la nuit devant le phare du bout du monde… dans des conditions rugueuses.
Le Cap de la délivrance
Damien Seguin doublait tôt ce matin le Horn (à 3h40 heure française) deux heures après Thomas Ruyant et ne cachait pas son émotion dans une vidéo envoyée du bord : « Mon premier Cap Horn, en quatrième position en plus, c’est un truc de fou, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J’y suis arrivé ! ». Le skipper de Groupe APICIL, ému et heureux, a donc enfin mis le clignotant à gauche après 56 jours et 13h de course depuis le départ des Sables d’Olonne le 8 novembre dernier. 200 milles dans son tableau arrière, 7 skippers groupés (Dutreux, Burton, Le Cam, Herrmann, Sorel, Pedote et Joschke) vont eux-aussi entamer la remontée de l’Atlantique Sud non sans une certaine impatience : « J’ai hâte de passer le Cap Horn, ce sera ma première fois. C’est une belle étape » confiait Benjamin Dutreux, 5e au Horn, qui n’en finit pas d’étonner par la maîtrise de son bateau à dérive de 2007. La soirée et la nuit promettent d’être agitées au large du caillou le plus austral de l’Amérique du Sud : un flux de nord-ouest puissant va se renforcer générant des rafales à plus de 40 nœuds et une grosse mer. De quoi marquer ce passage légendaire d’une pierre blanche pour les 4 bizuths du groupe (Dutreux, Sorel, Pedote, Joschke) et les 3 récidivistes (Burton, Le Cam, Herrmann) qui n’ont jamais doublé le rocher mythique avec si peu d’écart entre les concurrents. Le gardien de phare de l’île du Horn ne va pas s’ennuyer…
Une autre course pour Isabelle Joschke
Hier après-midi, alors qu’elle pointait en 5e position, la navigatrice franco-allemande déplorait la casse du vérin hydraulique de la quille de son IMOCA MACSF. Désormais privée de la possibilité de basculer l’appendice de son bateau pour gagner en performance, Isabelle est donc contrainte de faire une croix sur ses ambitions sportives : « Je bascule dans une autre dimension. Je suis dans la déception, j’ai besoin de faire le deuil de ma course » confiait-elle à son équipe technique. Depuis deux jours, les ennuis s’accumulaient (perte de l’aérien, gennaker déchiré) mais ne pénalisaient pas la belle avancée de MACSF aux avant-postes du groupe de « chasseurs ». Ce lundi, Isabelle Joschke change de braquet mais positive en pensant au Cap Horn qu’elle doublera pour la première fois demain matin !
Attanasio, Tripon, Cremer secoués
« J’ai 45 nœuds, je suis sous grand-voile seule, j’ai roulé le J3, je n’arrive pas à trouver le bon compromis. Le bateau part à fond. La mer est galère, le pilote n’arrive pas à tenir le bateau. C’est ça qui me fait peur. » expliquait ce matin Romain Attanasio à la vacation de 5h. Adieu les zones de vents mous et erratiques, bonjour les vraies conditions du Pacifique Sud ! Encore une douzaine d’heures à tenir, les mains prêtes à choquer les écoutes, les yeux portés sur les répétiteurs de vent et de vitesse du bateau, les oreilles à l’écoute du moindre bruit suspect dans les accélérations, avant que les conditions s’améliorent. Sur Pure – Best Western©, L’Occitane en Provence et Banque Populaire X, on serre les dents à 460 milles du Cap Horn.
Barrage au nord des Falklands
Du tout… au rien ! En tête de flotte, les conditions météorologiques sont beaucoup plus calmes mais bien plus casse-têtes. Yannick Bestaven affiche toujours un petit matelas d’avance sur Charlie Dalin (195 milles) mais la suite s’annonce bien compliquée : tous deux font une route Est pour contourner un anticyclone dans le nord des îles Falklands qui a tendance à s’étaler… dans l’Est. L’idée pour les deux hommes de tête est de ne pas traîner dans les parages pour dépasser au plus vite cette zone de hautes pressions qui va complètement fermer la route à la fin de la semaine ! Thomas Ruyant, troisième, après s’être faufilé dans le détroit de Lemaire entre la Terre de Feu argentine et l’île des Etats choisit un chemin vers le nord. Nous y sommes : la remontée de l’Atlantique Sud n’est jamais un long fleuve tranquille. Mille choses peuvent encore se passer jusqu’à l’arrivée aux Sables d’Olonne… fin janvier ?
Ils ont dit
Louis Burton, Bureau Vallée 2
Il y a eu du gros travail sur le bateau avant l’empannage. Le vent va forcir vers le Cap Horn. J’étais à l’attaque, tout allait bien, quand le fusible qui tient le safran sous le vent en bas a cassé. Je venais de rouler ma voile d’avant et de réparer le safran avant votre appel. Il y a quelque chose tous les jours, c’est incroyable… Je suis très content, je suis très soutenu depuis Macquarie, ça m’a beaucoup aidé à cravacher, à être à la bagarre avec les autres, même si après Macquarie on était très loin derrière ! Je suis toujours très motivé. L’Atlantique Sud, ce ne sera pas simple, il va falloir tricoter dans des vents faibles. Il faudra changer de mentalité, ne plus être dans un mode de préservation du bateau.
Benjamin Dutreux, OMIA – Water Family
Ça avance vite. On a 27/35 nœuds de vent actuellement. C’est assez musclé mais la mer se lisse un peu. Le bateau fait des grands surfs, ce n’est pas désagréable mais c’est un peu stressant. Il y a d’énormes grains, j’essaye d’anticiper pour ne pas faire de départ au tas et ne rien casser. J’ai deux ris dans ma grand-voile et comme je n’ai pas de J2, j’ai mis le reacher : c’est une petite voile de portant dans le gros temps. J’ai hâte de passer le Cap Horn, ce sera ma première fois. C’était chaud ces derniers jours, on a fait pas mal d’empannages. Chaque manœuvre est assez stressante. Après, il ne faudra pas se reposer sur ses lauriers car la route est longue, mais le Cap Horn c’est une belle étape. Je devrais le passer ce soir normalement. Le vent accélère très fort le long de la côte, donc j’essaye de passer un peu plus au large. Je vais faire une courbe un peu plus enroulée.
Isabelle Joschke, MACSF
J’ai accumulé les mauvaises surprises depuis trois jours. J’ai perdu mon dernier aérien, mon petit gennaker s’est déchiré cette nuit et j’ai le vérin de quille qui s’est cassé tout à l’heure, ce qui veut dire que je vais devoir continuer la course avec la quille bloquée dans l’axe. C’est une grosse perte de potentiel, une grosse perte de vitesse pour le bateau et puis la quille, c’est la stabilité, c’est aussi un outil de sécurité. Dans un peu plus de 24 heures, je vais passer le Cap Horn, avec des sentiments très partagés. La joie et la satisfaction d’avoir atteint cet objectif, de sortir des mers du sud et la grosse déception de devoir démarrer une autre course, qui n’est pas celle dont j’avais complètement rêvé, mais je continuerai de donner le meilleur de moi.
Damien Seguin, Groupe APICIL
Il y a forcément un petit contrecoup. Ce passage marque la fin du grand Sud, le début de la remontée. C’est normal que cela fasse quelque chose, surtout quand c’est la première fois. Je me suis revu gamin à lire des récits, vivre des Vendée Globe par procuration… Et là, je l’ai fait ! C’était assez intense. Si on m’avait dit aux Sables d’Olonne que j’allais passer le Cap Horn en 4e position, j’aurais signé tout de suite. Je prends conscience que je fais une belle course, mais la suite ne va pas être simple. Il va falloir que j’arrive à faire aussi bien que jusqu’à présent. Au passage du Cap Leeuwin, j’étais déjà en 4e position. Je suis particulièrement content de cette régularité. J’ai empanné pour remettre un peu d’Est dans ma route. Ce n’est pas facile de se projeter car les modèles météo ne concordent pas vraiment. Je n’avais pas envie de passer trop près de la côte dans le détroit car les vents sont trop erratiques. On ne va pas voir le résultat des dernières options tout de suite. On verra bien. L’essentiel, c’est que je sois à l’aise avec ce que je fais et je suis bien parti pour.
CLASSEMENT à 15:00 heure française
- Yannick Bestaven, Maître CoQ IV, à 6493.58 milles de l’arrivée
- Charlie Dalin, Apivia, à 195.06 milles du leade
- Thomas Ruyant, LinkedOut, à 328.99 milles du leader
- Damien Seguin, Groupe APICIL, à 404.05 milles du leader
- Benjamin Dutreux, OMIA – Water Family, à 605.32 milles du leader
Crédit Photo : B. Dutreux
Tags sur NauticNews : Vendée Globe, VG2020
– CP –
Commentaires