VG2020 : Dalin aux commandes
Le skipper d’Apivia a joué juste. Son petit décalage sous le vent de LinkedOut au plus près du petit front froid lui a permis de toucher un peu plus d’air que son adversaire et de prendre ainsi la tête du classement de 9h ce matin. Poussés par vent léger pour 10 nœuds, les deux hommes de tête mouillent le maillot comme deux grimpeurs en pleine canicule sur une route de montagne : manœuvres d’empannages, réglages, affinage des trajectoires. Une chose est sûre : le record établi en 2016 par Alex Thomson entre les Sables d’Olonne et Bonne Espérance (17 jours 22 heures) ne sera pas battu !
Ils se sont engouffrés dans le couloir sous l’anticyclone de Sainte-Hélène laissant la meute dans l’embarras. « Chacun va devoir trouver sa route, la nôtre est plus pénible. Cette affaire va nous occuper trois ou quatre jours, avec très peu de vent. » soupirait ce matin Boris Herrmann, 6ème, à bord de son SeaExplorer – Yacht Club de Monaco. Son concurrent le plus proche, Yannick Bestaven sur Maître CoQ IV, à 5 milles de son tableau arrière, n’est pas plus avancé : « Les prochaines heures vont être compliquées, il va falloir se dépatouiller de ce système météorologique qui nous englue. Il va falloir basculer vers le Sud pour aller chercher de l’air tout en évitant l’anticyclone de Sainte-Hélène pour ne pas y rester coincé. »
Pour les poursuivants de Charlie Dalin et de Thomas Ruyant, cette journée du 23 novembre s’annonce en effet cruciale en termes de choix de route. Il se dessine un chemin de traverse, plus long de 200 milles qui les ferait descendre vers le sud avant de pouvoir faire de l’est vers le cap africain. Autant dire que les écarts risquent d’être importants dès l’entrée dans l’Océan Indien.
Propres et frais
C’est à croire qu’ils se sont tous passés le mot ! Ce 15ème jour de course fut celui du grand ménage à tous les étages. L’inoxydable Jean Le Cam, 3ème au pointage, mène d’une main de maître son IMOCA à dérives, de l’autre la lessive de ses chaussettes et caleçons. Six skippers entrés dans le Pot au Noir ce matin (Fabrice Amedeo, Miranda Merron, Clément Giraud, Ari Huusela, Alexia Barrier et Sébastien Destremau) font contre mauvaise fortune bon cœur : les grains gorgés de pluie diluvienne ne sont-ils pas la meilleure des douches après 15 jours à baigner dans le sel et l’humidité ? Bref, le moral est bon à tous les étages du long pendentif de 2 969 milles : le temps passe à toute allure, le mode tour du monde est bien activé, le rythme de la mer est pris. Et parfois un rien illumine la journée : « Je suis passé à côté des îles Trindade et Martim Vaz, ça paraît improbable de trouver un caillou ici au milieu de nulle part. C’était le petit cadeau du matin, au milieu des rayons du soleil, j’ai presque failli m’arrêter ! » souriait Damien Seguin (Groupe APICIL) ce midi.
Alex Thomson et Jérémie Beyou : une autre course pour deux grands favoris
« La bonne nouvelle, c’est que je suis parvenu à réparer avec tout le matériel que j’avais et que le bateau est même probablement plus solide qu’avant. Je vais repartir le plus rapidement possible ! » confiait cet après-midi Alex Thomson dans une vidéo envoyée du bord. Il y montre les réparations en cours sur des cloisons structurelles à l’avant d’HUGO BOSS, arrêté au milieu de l’Atlantique Sud depuis 36h maintenant. En tête de course plus de 6 jours avec un unique objectif de victoire, le Britannique accuse maintenant 300 milles de retard, mais il sait mieux que quiconque combien la route est longue lui qui court pour la 5ème fois l’Everest des mers. Jérémie Beyou fonce le long des côtes mauritaniennes pour rattraper son retard de 9 jours. Le compétiteur, faute de bagarre avec ses camarades de jeu, bataille avec lui-même pour trouver l’énergie positive et un sens à cette nouvelle démarche. « Je découvre une facette plus empreinte d’humain que je ne l’imaginais » confiait le skipper de Charal ce matin.
Ils ont dit
Damien Seguin, Groupe APICIL
J’ai eu l’impression de revivre un deuxième Pot au Noir, mais plus compliqué que celui qu’on a passé cette année, il y avait des grains partout, peu de vent et des gros changements de directions. Je me suis un peu fatigué à faire des changements de voiles, j’aurais peut-être dû prendre cela plus calmement car je me suis fatigué et après, quand on est fatigué, le moral baisse. Mais ce matin, c’est reparti sur de bonnes bases ! Ce matin, il faut que je travaille sur les derniers fichiers météo, il y a des routes de traverses qui existent mais on n’est pas sûr qu’elles soient pérennes sur plusieurs jours. On se demande tous. Les premiers ont pris ces chemins-là, mais ils sont plus en avance que nous, le groupe du milieu passe des moments difficiles aussi donc pour nous derrière, ce n’est pas beaucoup plus simple, on va devoir s’adapter aux conditions qu’on va avoir pour tirer notre épingle du jeu et naviguer le mieux possible. Ce qui est sûr, c’est qu’on va mettre encore du temps à arriver à Bonne Espérance.
Manu Cousin, Groupe SÉTIN
Le temps était une de mes appréhensions et pour l’instant les 15 jours de course sont passés super vite. Je vois que les premiers commencent à tourner à gauche et quand ça sera mon tour il y aura une petite appréhension, ça sera l’inconnu mais aussi l’envie de découvrir ! J’ai hâte ! Cette nuit je vais passer l’équateur, même si je l’ai déjà passé plusieurs fois, ça sera une autre étape de la course et il y aura toujours les petits rites. J’essaye de prendre les choses jour après jour, de faire une belle course, on est un groupe de 4, c’est sympa, c’est pour ça que je ne voulais pas me faire décrocher dans le Pot au Noir.
Yannick Bestaven, Maître CoQ
Je suis dans un bon groupe de partenaires dans lequel je rêvais d’être. Je les ai côtoyés sur les dernières courses. On a tous des bateaux peu similaires mais proches d’un point de vue performance. Ça me motive, ce sont des bons repères, ça permet de se forcer à tout bien régler et regarder les écarts. J’ai commencé à faire un état des lieux et des petits travaux du bateau hier. Il faut profiter du vent plus mou pour vérifier tout le bateau avant les mers du Sud. Je ne compte pas les heures et les jours, je sais quel jour on est grâce à mes sachets de nourriture. Je suis bien dans mes baskets, je suis content d’être sur l’eau, je prends beaucoup de plaisir. J’avais peur d’avoir du mal à rentrer dans la course mais plus les jours passent et plus je m’y sens bien installé.
Jérémie Beyou, Charal
Moralement, j’ai des hauts et des bas. Là, je suis triste pour Alex (Thomson), parce que ça fait chier pour lui, ça fait chier de le voir ralentir. Il a une grosse réparation à faire, ce n’est vraiment pas cool. J’ai pensé à lui toute la journée. Je lui adresse mon soutien, j’espère qu’il va réparer et vite revenir dans la lutte. Mais quand je vois que je suis 3 000 milles derrière la tête, que je suis dans l’Atlantique Nord alors qu’ils sont en bas de l’Atlantique Sud, ce n’est pas facile à vivre. Je profite de que le bateau va bien, et j’avance heure par heure. C’est compliqué, parce que ce ne sont pas des bateaux faciles à vivre. Pour les pousser, il faut de la motivation, et cette motivation vient de la concurrence. C’est elle qui te pousse dans tes limites.
CLASSEMENT 15:00 Heure Française
1. Charlie Dalin, Apivia à 19421.4 milles de l’arrivée |
2. Thomas Ruyant, LinkedOut à 28 milles du leader |
3. Jean Le Cam, Yes We Cam! à 270 milles du leader |
4. Kevin Escoffier, PRB à 289.1 milles du leader |
5. Alex Thomson, HUGO BOSS à 350.8 milles du leader |
Crédit Photo : C.Dalin / Apivia
Tags sur NauticNews : Vendée Globe, VG2020
– CP –
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