Route du Rhum-Destination Guadeloupe : l’analyse de Roland Jourdain
Après la victoire de Francis Joyon dans la catégorie des Ultimes, la bataille navale que se livrent les IMOCA prend le devant de l’actualité. Car derrière Alex Thomson, toujours solide leader, Paul Meilhat, Vincent Riou et Yann Eliès démontrent à nouveau que dans la Route du Rhum, absolument rien n’est joué avant la ligne d’arrivée.
Ce lundi, trois concurrents en escale (Jérémie Beyou, Manuel Cousin et Romain Attanasio) ont repris la mer et devaient être rejoints par Alexia Barrier. Sur les 20 concurrents au départ de Saint-Malo il y a huit jours, 16 sont donc à nouveau en course.
C’est aujourd’hui un double vainqueur de la Route du Rhum en IMOCA, Roland Jourdain, qui nous livre sa chronique de l’édition 2018 dans cette catégorie, non sans oublier d’avoir une pensée pour Francis Joyon et François Gabart…
« La nuit a été courte avec Francis et François qui nous ont fait un show incroyable ! J’aime ces deux marins, chacun dans leur style. Ils ont fait une course énorme. Entre le bonhomme et son bateau, Francis est un exemple de développement durable, ça me parle, moi qui travaille sur ces aspects en parallèle de la course au large.
En tant que spectateurs, nous sommes également gâtés en IMOCA ! On a un joli catalogue de foilers (de différentes générations) et de non foilers. La bagarre est passionnante à suivre. On peut observer les évolutions quasiment en Live avec l’actualisation de la cartographie toutes les heures. Le problème, c’est qu’on peut y passer la journée !
« Les leaders doivent être au taquet ! »
L’alizé, vu de chez nous sur les modèles, paraît toujours facile. C’est pourtant loin d’être le cas, car le vent n’est pas régulier en force et en direction. Il fait souvent très chaud, ce qui pompe de l’énergie. L’allure suivie actuellement par les bateaux de tête n’est pas évidente. Alex Thomson, Paul Meilhat, Vincent Riou, Yann Eliès et aussi Boris Herrmann naviguent au portant VMG (Velocity Made Good, la recherche du meilleur compromis cap/vitesse). C’est une allure que l’on redoute, notamment parce qu’il faut passer des heures à la barre. Les pilotes ont beau être excellents, ils n’ont pas leur meilleur rendement dans ces conditions. Il faut aussi prévoir des empannages. Les gars doivent être au taquet ! Sous gennaker, le bateau est davantage calé que sous spi à la descente, où là ça peut être chaud. La règle c’est que plus tu as de surface devant, moins tu dors bien. Il reste encore un paquet de pièges à négocier avant l’arrivée : les grains, l’approche des îles avec les sargasses, les casiers, bref tous les impondérables de notre activité. Il faut rester à l’écoute !
« Le tour de la Guadeloupe, un supplice chinois ! »
Pour le moment, Alex Thomson semble dans le contrôle de la situation. Certes, il ne peut pas marquer à la fois les concurrents au Sud et au Nord. Mais dans ces cas-là, on surveille d’abord les plus proches, en l’occurrence Paul, Vincent et Yann. Alex dispose d’une belle avance mais il peut avoir chaud aux fesses jusqu’à la ligne d’arrivée. Potentiellement, on l’a très bien vu avec les Ultimes, les cartes peuvent être redistribuées et il faut tourner la langue sept fois dans sa bouche avant de parler prospective et de faire des pronostics.
Plus Alex collera de milles à ses poursuivants à la Tête à l’Anglais (un ilet situé au Nord de Basse-Terre), mieux ce sera pour lui, car le tour de la Guadeloupe sous le vent est un supplice chinois ! En 2006, pour ma première victoire en IMOCA, j’avais au moins 120 milles d’avance sur Jean Le Cam à la Tête à l’Anglais. Mais entre le dévent de l’île et une rupture de l’alizé, je me suis retrouvé dans la pétole. Le vent se reformait derrière ce qui permettait à Jean de revenir. Au final je suis arrivé à Pointe-à-Pitre 20 minutes avant lui. Quand j’ai passé la ligne, je voyais son feu de mât qui se pointait… Cette année, s’il se produit en IMOCA la même situation qu’avec les Ultimes la nuit dernière, on sera en surtension maximale ! Jusqu’au bout, il y aura du spectacle pour la victoire et pour le podium.
« Où que tu regardes sur la carto, tu as des trucs à apprendre »
Ce n’est pas une surprise de retrouver Alex, Paul, Vincent et Yann devant, ce sont un peu les premiers de la classe. Nous aurions été contents de voir un Charal se promener là-dedans pour faire des comparatifs de vitesse.
Le petit paquet derrière est cohérent aussi. C’est sympa de voir batailler Alan Roura, Damien Seguin et Stéphane Le Diraison. Ce sera intéressant de faire un comparatif entre ces trois bateaux assez similaires, sachant qu’Alan a ajouté des foils, contrairement à Damien et Stéphane. Nous allons voir aussi si Arnaud Boissières avec un bateau reboosté va reprendre du poil de la bête et se rapprocher. Je ne connais pas Erik Nigon et Ari Huusela, ils sont donc des bonnes surprises pour moi. C’est vraiment chouette de les voir dans le match. Cette variété des publics fait partie des jolies choses de la classe IMOCA.
Où que tu regardes sur la cartographie, tu as des matchs à suivre et des trucs à apprendre. Il est bien difficile, même à terre, de vivre la Route du Rhum avec détachement. De temps en temps, je me vois bien en mer avec eux. Ça donne toujours envie d’y être ! »
Extrait de palmarès de Roland Jourdain en IMOCA :
– Double vainqueur de la Route du Rhum (en 2006 et 2010)
– 3 participations au Vendée Globe (3e en 2000-2001)
– Vainqueur de la Transat Jacques Vabre 2001 (avec Gaël Le Cléac’h)
– 2e de la Transat Jacques Vabre 2005 (avec Ellen MacArthur)
– 2e de la Transat Jacques Vabre 2003 (avec Alex Thomson)
Crédit Photo : B. Stichelbaut
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