Route du Rhum-Destination Guadeloupe 2018 : Fragrances caraïbiennes
Il y aura bien du match jusqu’à l’arrivée à Pointe-à-Pitre car Francis Joyon est revenu cette nuit à 60 milles du leader François Gabart ! Les deux trimarans ULTIME devraient apercevoir les premières îles antillaises dès la mi-journée et il faudra compter au minimum six heures pour faire le tour de l’île papillon… Surtout que les alizés faiblissent à l’approche de la Guadeloupe !
Six jours déjà que les embruns envoient leur spray en permanence, que le sel s’incruste partout, que les vagues nettoient le pont, que l’océan a pris possession de ces deux trimarans géants. Six jours que les odeurs ont fait place à une neutralité sensorielle, que même les plats lyophilisés n’ont plus de goût. Six jours à mariner dans l’humidité, à garder le même ciré. Alors quand une fragrance venue de nulle part vient titiller les narines, quand un parfum d’humus et de terre trempée imprègne l’atmosphère, il y a comme une saveur de fin.
Et à moins de 350 milles de la délivrance, il y a aussi de l’incertitude quant à celui qui abordera le premier l’île papillon ! Car Francis Joyon est de plus en plus percutant ces dernières heures avec moins de 65 milles de retard sur François Gabart ce dimanche matin… Alors qu’il ne reste plus qu’une demie journée pour atteindre la ligne d’arrivée ! Il faut dire que le skipper d’IDEC Sport est particulièrement incisif avec des moyennes hallucinantes de plus de trente-trois nœuds ! Le « chassé » en convient : il ne sera pas simple de s’en défaire, surtout lorsqu’il faudra aborder ce finish autour de la Guadeloupe.
Une zone orageuse
Car c’est une tradition depuis la première édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe : arriver par le Nord par la Tête à l’Anglais, longer les côtes sous le vent, virer une marque de parcours (la deuxième après celle du cap Fréhel) devant Rivière-Sens, au pied de la Soufrière, cette montagne volcanique qui aspire toutes les brises, emprunter le canal des Saintes, avant d’entrevoir la ligne d’arrivée devant l’îlet à Cochons… En sus, l’alizé d’Est qui sévit sur le tropique du Cancer a tendance à s’étioler au fur et à mesure que les voiliers s’approchent des îles caraïbes. Et les grains se mutent en zone orageuse en ce moment sur les Antilles : des trombes d’eau sont tombées ces jours derniers sur Pointe-à-Pitre !
Tous ces paramètres, cumulés avec la fatigue et le stress de la vitesse qui accompagnent les deux leaders depuis six jours, ne vont pas faciliter cet atterrissage : François Gabart et Francis Joyon ont beau connaître la problématique, eux qui ont déjà fait le tour, ils savent que ce parcours final est extrêmement piégeux. Tout va à peu près bien jusqu’à l’îlet Kahouane, au Nord de Basse-Terre, mais ensuite il faut négocier ces fameux trente milles entre Deshaies et la marina de Gourbeyre. Et rien n’est pareil d’un jour à l’autre, d’une nuit au jour… Par chance, l’atterrissage des leaders doit s’effectuer sous le soleil, ce qui facilite l’observation de ces maigres risées qui rident le plan d’eau.
Bref, il faut s’attendre à plusieurs effets accordéon entre les deux premiers solitaires qui peuvent aussi espérer améliorer le temps de référence établi par Loïck Peyron quatre ans plus tôt : 7j 15h 08’ 32’’… Anecdotique pour les deux marins, mais révélateurs d’une traversée extrêmement rapide depuis Madère qu’ils ont quitté il y a seulement quatre jours ! François Gabart et Francis Joyon ont ainsi aligné 550 milles quotidiens sur la route directe avec trois empannages importants sur plus de 2 000 milles !
Mi-parcours pour les IMOCA
Et derrière ces deux grands marins qui vont en finir ce dimanche soir, les monocoques IMOCA vont franchir la mi-parcours, une ligne virtuelle qui a peu d’importance pour eux mais qui démontre tout de même qu’ils devraient en finir avant le week-end prochain. Alex Thomson est toujours aussi dominateur au point de titiller le premier Multi50 d’Armel Tripon. Celui-ci n’a plus qu’à assurer une trajectoire tendue vers les Antilles car les « nordistes », même s’ils vont très vite en ce dimanche, vont devoir traverser une zone de transition délicate pour passer de la bordure septentrionale de l’anticyclone des Açores (vent de Nord-Ouest) à ces alizés d’Est juste au-dessus du tropique.
Et même si les hautes pressions se rétractent un peu en ce moment, il n’est pas évident que Thibaut Vauchel-Camus, Gilles Lamiré et Erwan Le Roux arrivent à croiser devant Lalou Roucayrol, le « sudiste » ! Si désormais presque toute la flotte est sortie du golfe de Gascogne (à l’exception de Dominique Dubois en Rhum Mono et d’Éric Gamin en Rhum Multi), celui-ci va se remplir de nouveau dès ce dimanche avec le nouveau départ de nombre de solitaires qui se sont réfugiés dans les ports bretons. Après Éric Bellion et Laurent Jubert repartis de l’Aber Wrac’h, c’est Christophe Souchaud qui a quitté Camaret samedi après-midi…
Ils ont dit
François Gabart (ULTIME-MACIF) : « Tout va nickel. On est toujours dans l’alizé au portant, on approche de la Guadeloupe le plus vite possible. Mais comme il fait nuit maintenant depuis 5 heures on ne voit pas grand chose. Le ciel est couvert, il y a pas mal de grains mais ça ne nous perturbe pas vraiment au niveau du vent. Le vent fluctue un peu mais moins que la nuit précédente. On voit sur l’image satellite depuis quelques heures un gros amas nuageux sur les Antilles donc maintenant de savoir si on va amener le beau temps en Guadeloupe j’ai bien peur que non… mais j’espère au moins qu’on aura la chance d’avoir un vent le plus régulier possible jusqu’à l’arrivée. Francis Joyon revient fort ces dernières heures, je ne sais pas ce que ça va donner sur les prochaines mais cela promet un finish assez palpitant. Faire le tour de la Guadeloupe cote à cote, ça peut être un scénario et je me prépare à ça et je me prépare à être performant si cela arrive. Sur le tour de la Guadeloupe ce n’est jamais simple surtout avec nos bateaux avec le parcours imposé avec une bouée aussi très proche de la terre sous le vent de l’ile. C est quelque chose de compliqué, en plus la météo n’est pas bien calée. C’est loin d’être simple cette histoire et cela risque de mettre du piment jusqu’au bout. Je n’ai aucune idée de l’heure à laquelle on va arriver en locale mais on devrait arriver entre 15h et 19h UTC* sur le nord de la Guadeloupe (à peu près en milieu de journée je pense). Normalement le vent est plus facile et stable en journée, là proche de l’arrivée il fera nuit avec en plus des vents potentiellement erratiques dans le dévent de basse terre. Ce n’est jamais simple de naviguer la nuit encore plus avec des obstacles et sans infos visuelles. »
Paul Meilhat (IMOCA-SMA) : « C’est très compliqué depuis qu’on est dans l’alizé, il y a énormément de grains, c’est vrai que c’est assez fatigant à naviguer. Il y a de la houle toujours de Nord et comme je n’ai pas de foils, du coup en bâbord c’est assez propice à départ au lof donc il faut faire attention. Le vent commence à se renforcer et je réfléchis à prendre un ris aussi. On va surement changer un peu de configuration dans les 24h avec ce vent qui se renforce. Les bateaux à foils comme Hugo Boss, dans 20 noeuds de vent, vont en moyenne 15% plus vite. Ce n’est pas le cas de PRB qui a peut être quelque chose car il ne va pas très vite mais quand Alex Thomson va à 18 noeuds moi je vais à 15. On est loin les uns des autres avec du décalage mais pour l’instant même si je perds un peu, j’arrive à peu près à m’accrocher. Le problème est qu’on va vers des conditions qui vont se renforcer surtout sur la fin, donc il faudra faire attention à ne pas casser le matériel, mais il est vrai que ça sera propice surtout aux foils. Cela permet au bateau d’être plus stable notamment quand il y a les grains. Je suis épuisé parce qu’il faut que j’aille vite et que je règle les voiles le mieux possible. Mais dès qu’il y a une sur-vente de 2 noeuds, le bateau part au lof, donc il faut réagir tout le temps, c’est assez fatiguant. On est plus proches de l’arrivée que du départ, c’est une bonne nouvelle. On va aller beaucoup plus vite sur la fin surtout en trajectoire directe. On est au milieu de l’océan, c’est bien, c’est un symbole. Il est vrai que ça fait un paquet de temps que je n’ai pas croisé un bateau. J’ai fait une super nuit sur la première partie de nuit, c’était étoilé, et j’ai eu mon premier gros grain il y a une demie heure donc on ne voit plus rien et je vais surement en prendre d’autres. »
Lalou Roucayrol (Multi50-Arkema) : « Là je suis dans un système qui me bouffe un peu les alizés donc c’est un peu mou. C’est une course de vitesse, les Multi50 qui sont devant vont être rapides mais à un moment donné il va falloir qu’ils passent l’anticyclone et ça va les ralentir. Evidemment c’est une course de vitesse… on verra à l’arrivée. C’est assez inquiétant car ils sont bien placés mais ils ont un obstacle devant à franchir qui ne sera pas simple. Ils ont un alizé faible derrière donc rien n’est joué encore ! Même s’il est établi, il y a des variations. De mon côté, il faut aller chercher un flux un peu plus soutenu. On attend le refus avant d’empanner. »
Crédit Photo : Jean-Marie LIOT / ALEA / MACIF
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– CP –
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