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Vendée Globe : la guerre sur tous les fronts

Pour Bernard Stamm, les mauvaises nouvelles succèdent aux bonnes. Hier soir (samedi), le Jury International a décidé de rouvrir son cas, suite à la réception du rapport du commandant du bateau russe. Mais le skipper de Cheminées Poujoulat n’en est plus vraiment là. Ce matin vers 3h30 (heure française), une collision avec un objet flottant a arraché l’hydrogénérateur bâbord tandis que le tribord est également hors d’usage. Avec une très mince réserve de carburant et sans énergie alternative, Bernard est sous la menace, à terme, d’un black out (panne totale d’électricité), une situation rédhibitoire pour poursuivre les 7900 milles qui lui reste à parcourir jusqu’aux Sables d’Olonne, car il serait alors privé de pilote automatique (entre autres). Dans ces circonstances, Bernard et son équipe ont décidé de chercher un abri qui permette de récupérer du carburant. Cet après-midi, Stamm était à 850 milles du cap Horn, soit un peu moins de 3 jours de navigation. Plusieurs solutions pourraient être envisagées : passer le Horn, se mettre à l’abri dans une anse et se faire livrer du gasoil ou aller jusqu’à Ushuaia, avec encore 140 milles à parcourir après la pointe de l’Amérique du Sud. L’équipe de Cheminées Poujoulat, Bernard Stamm et la Direction de Course du Vendée Globe sont en train d’étudier toutes les solutions possibles pour définir la meilleure stratégie à suivre.

Ça secoue au large de l’Argentine

2200 milles devant Cheminées Poujoulat, les quatre hommes de l’Atlantique, naviguent face au vent. Dans le sud-est de Buenos Aires, François Gabart (MACIF) et Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) sont pris en sandwich entre un anticyclone et une dépression. Entre les deux, un couloir de vent de nord-ouest qui va basculer au nord-est et fraîchir dans la journée pour devenir carrément virulent dans les grains (rafales à 40 nœuds). La mer, de face, sera forte à très forte. Ça va secouer dur à bord des 60 pieds. Pour l’instant, les deux hommes semblent s’accorder sur l’itinéraire à suivre dans ce méandre de hautes et de basses pressions qui impose quelques virements de bord. « Je ne serais pas étonné que nos routes convergent dans trois ou quatre jours » prévenait François.

Reconstitution de ligue dissoute ?

Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec 3) navigue dans le même système météo, mais avec des effets à retardement dus à son écart avec les leaders. Grâce à des conditions plus favorables juste après le passage du Horn, le skipper du bateau bleu a refait une partie de son retard, « à la force du poignet ». Aujourd’hui, « Jipé » n’est plus qu’à 226 milles du duo de tête. Soit une demi-journée de navigation. Pas grand-chose à l’échelle des 10 700 kilomètres qui restent à parcourir. Le trio va t-il se reconstituer au passage de l’Equateur ?  Une ultime « guerre des trois » aura t-elle lieu d’ici Les Sables d’Olonne ? C’est tout ce que souhaite le navigateur niçois.

Un Pacifique belliqueux

Pour les hommes du Pacifique, c’est la guerre. L’image envoyée hier par Arnaud Boissières, donne une idée du décor qui les entoure : un ciel noir en plein jour, coiffant de grosses vagues bleu argenté hérissées de crêtes blanches : beau et effrayant à la fois. Le vent et la mer ne mollissent pas sur la route du Horn où les bateaux encaissent la mitraille incessante des grains.
A l’aube, au sortir de sa sieste, Mike Golding s’est précipité en petite tenue sur le pont de Gamesa pour reprendre le contrôle de la situation : le bateau s’est couché dans une rafale à 42 nœuds. Le marin britannique en est revenu trempé et glacé. Un réveil vivifiant !
Ces conditions n’empêchent pas le groupe des 5 de se livrer un combat sans merci. Après avoir croqué deux concurrents en 72 heures, Bernard Stamm a son compatriote Dominique Wavre (Mirabaud) dans le viseur (15 milles). Quand à Arnaud Boissières (AKENA Vérandas), il vient tout juste de doubler Javier Sanso (Acciona 100% Ecopowered). Ce groupe devrait franchir le cap Horn en l’espace de 20 heures à partir de mardi matin. Soit peu de temps après SynerCiel.

A une journée de navigation de la Terre de Feu, Jean Le Cam enchaîne les empannages (en réalité, expliquait-il, il vire pour passer d’une amure à l’autre). Cette nuit, il s’est rapproché du centre de la dépression qui l’accompagne et le vent s’est un peu essoufflé. Du coup, il a perdu du terrain sur Golding et sa clique, mais qu’importe. Cette relative accalmie lui a permis de dormir, dormir enfin profondément après toute l’énergie dépensée à la manœuvre. A quoi d’autre rêve t-il ? « d’un bon steak frite, sauce roquefort ! ».

Dernière minute : le point sur la situation de Bernard

Peu avant 14 heures, ce dimanche, le skipper de Cheminées Poujoulat a rallumé ses instruments de communication pour contacter la terre afin de faire un rapide point sur sa situation.

Navigant actuellement dans 35 à 40 nœuds de vent, le Suisse va devoir désormais passer la très grande majorité de son temps avec sa centrale coupée, la batterie principale du monocoque ne disposant plus que de 5% de son potentiel de charge. Il ne la rallumera que de manière épisodique pour donner et prendre des nouvelles à terre. Il a précisé se préparer à puiser dans ses réserves de sécurité pour ce qui est de l’eau. Il confirme également se diriger vers le Cap Horn.

S’il est difficile pour le navigateur d’estimer ses futures polaires de vitesse, les derniers routages donnent un passage au Cap Horn le 9 janvier, le vent s’annonçant mollissant pour cette journée et celle de demain. A ce stade, si la solution d’un ravitaillement  en gasoil dans un port n’est pas écartée, l’équipe de Bernard étudie celle d’un bateau à portée de trajectoire lui fournissant du carburant.
(Source : Equipe Cheminées Poujoulat)

Les chiffres

François Gabart (MACIF) a doublé le cap Horn le 1er janvier 2013 à 18h20 TU (19h20 heure française) après 52j 06h 18mn de course.

Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) a doublé le cap Horn le 1er janvier 2013 à 19h35 TU (20h35 heure française) après 52j 07h 33mn de course.

Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec 3). Passage cap Horn : le 3 janvier à 04h42 TU après 53j 16h 40 mn de course.

Alex Thomson (Hugo Boss). Passage cap Horn : le 4 janvier à 02h38 TU après 54 j 14 36 mn de course.

Ils ont dit

François Gabart (FRA, MACIF) : (Sur la remontée de l’Atlantique) On peut rapidement comprendre que c’est plus facile de descendre avec le vent que de remonter contre lui. Quand on est au près, on est face aux vagues et au vent. Ça penche, c’est compliqué. On navigue un peu contre nature. Le vent est aussi un peu différent. On doit être attentif car les changements de voiles sont assez fréquents et il faut anticiper au maximum. (Sur la stratégie d’Armel) Je sais quelle route j’ai choisi mais je ne connais pas celle d’Armel. Je pense que nos routes vont converger dans 3-4 jours. Il n’y a pas d’ambigüité dans nos routages, mais les fichiers météo ne sont pas excellents donc il faut prendre pas mal de précautions quant à la précision sur plusieurs jours. (Sur l’état du bateau) Le bateau va bien, c’est important. J’ai tout fait pour qu’il aille bien et pour ne pas l’abîmer. Du coup, dans l’Atlantique, j’ai un bateau qui est performant, qui va vite. J’espère que ça va durer jusqu’à l’arrivée car dans le Golfe de Gascogne, il vaut mieux avoir un bateau qui est en bon état.

Régis Rassouli (chef de projet Cheminées Poujoulat) : On a été en contact avec Bernard cette nuit. Il nous a dit qu’il avait heurté un objet flottant et que l’un de ses hydrogénérateurs était arraché. Il se trouvait environ à 1000 milles du cap Horn à ce moment. On est inquiet car les conditions météo ne sont pas faciles. Le fait de ne plus avoir de communication avec le bateau rend les choses difficiles. Nous à terre, on travaille sur plein d’hypothèses, que ce soit au niveau des abris ou du carburant. On regarde aussi les fichiers météo. Mais aujourd’hui, la sécurité du bateau est engagée.

Jean-Pierre Dick (FRA, Virbac Paprec 3) : C’est le calme avant la tempête. Il y a 20 nœuds et des bonnes vagues. Une brume très tenace, on ne voit pas à plus de 200 m. On a une dépression qui arrive vers nous. On se pose pas mal de questions sur les stratégies à venir. (Sur son retour sur le duo de tête) C’est bien d’être revenu. C’est un peu à la force du poignet. Je ne serai peut-être pas devant à l’Equateur mais je veux être le plus près possible. Je veux être à environ 12h derrière eux au niveau de l’Equateur. Il faut grignoter doucement et jouer sa carte jusqu’au bout. L’arrivée dans l’Atlantique, c’est comme une nouvelle course pour moi, notamment par rapport au sud (…). Ça fait du bien un peu de musique à bord car parfois, c’est vraiment abrutissant, que ce soit le bruit ou le fait de penser à la performance toute la journée. Du coup, ça nous fait un petit moment de détente.

Mike Golding (GBR, Gamesa) : Les conditions sont très difficiles actuellement, avec en particulier un début de matinée sur les chapeaux de roues. Je n’ai même pas eu le temps de mettre ma veste de quart, le vent s’est mis à souffler à 42 nœuds et le pilote automatique a mis le bateau en vrac. Du coup, je me suis retrouvé sur le pont en sous-vêtements, trempé des pieds à la tête, et le tout par un froid glacial. J’ai connu des réveils plus agréables !  Le nuit n’a pas été simple non plus, j’ai du réparer une fuite de ballast. Ce matin, j’ai pu le remplir et j’avance à nouveau à une vitesse normale. J’ai vraiment dû m’activer car je ne voulais pas avoir de l’eau dans les systèmes électriques. Ça a l’air d’aller, maintenant, mais je vais devoir garder un œil là-dessus. (…) Franchement, quand on y réfléchit, il existe bien d’autres moyens moins stressants et plus confortables de gagner sa vie ! Et avec un meilleur salaire à la clé, si ça se trouve ! Et pourtant, nous, on a choisi ce métier-là ! Ceci dit, à l’approche du cap Horn, qui est l’un des moments-clés du Vendée Globe pour les skippers, on se rappelle pourquoi  on a fait ce choix… C’est aussi un moment très stressant. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens beaucoup plus nerveux cette fois-ci que lors de mes précédents passages du cap Horn. Ce ne sont pas les conditions météo qui me gênent, elles ne sont pas si terribles, non, c’est plutôt la glace qui me fait peur.

Bertrand de Broc (FRA, Votre Nom Autour du Monde avec EDM Projets) : Tout va bien à bord. Les conditions ont été un peu longuettes pendant 2-3 jours mais désormais le vent revient un peu. Mais ce n’est pas très fort, j’ai 25 nœuds de vent. Je n’avance pas très vite, le vent est trop derrière, du coup, c’est empannage sur empannage.

Jean Le Cam (FRA, SynerCiel) : En ce moment, le temps est instable. Cette nuit, on a pris 42 nœuds. Une soirée un peu mouvementée et j’ai du empanner. Du coup, il faut rouler le gennak’, tout préparer, monter le chariot et après il faut rematosser, revirer de bord, c’est prenant. Ça demande beaucoup d’organisation et en plus, je pense qu’il va y avoir pas mal d’empannages jusqu’au cap Horn. (Sur ce qu’il désire le plus en ce moment) Là, tout de suite, un petit steak frites avec une sauce roquefort. Mais tout à l’heure, ce que je voulais le plus, c’est dormir, et j’ai pu le faire ! Du coup, je suis un homme comblé. C’était vraiment ce dont j’avais envie. J’ai pu me reposer dans des conditions plutôt calmes.

Gérard Petipas (Vice-président de l’Association Eric Tabarly) : (Sur Bernard Stamm) Je ne me fais pas trop de souci. Je suis sur que ça va bien se passer pour Bernard. Ce qui est terrible, c’est que Bernard est vraiment marqué. Il a vraiment eu beaucoup de malchance sur le Vendée Globe. Le seul souci pour moi est la météo au niveau de la zone du Horn car quand on est fatigué, cette zone-là n’est pas simple. Physiquement, ça ne doit pas être facile pour lui.

Crédit Photo: Vincent Curutchet / DPPI

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– CP –

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